Introduction : Pour un décloisonnement disciplinaire
Sophie Stévance
Directrice de Musiques : Recherches interdisciplinaires
C’est avec une joie immense et une fierté indéniable que j’ai l’honneur de vous présenter le premier numéro de notre nouvelle revue Musiques : Recherches interdisciplinaires. Cette publication, riche de diversité linguistique, vise à établir un pont entre les chercheur..es, les praticien..nes et les passionné..es de musique, en leur offrant un espace privilégié pour explorer les fascinantes confluences entre la musique et d’autres champs disciplinaires.
Le lancement de ce projet éditorial est le résultat d’une collaboration étroite, marquée par un engagement profond de toute notre équipe. En tant que directrice de la revue et de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique de l’Université Laval, qui abrite cette initiative, je tiens à exprimer ma gratitude envers toutes les personnes qui ont contribué à faire de cette vision ambitieuse une réalité.
Une mention spéciale est réservée à Anthony Grégoire, dont l’implication exceptionnelle et la vision perspicace ont été cruciales pour l’élaboration de ce numéro inaugural et pour la fondation de la revue elle-même. Anthony Grégoire a été l’architecte derrière la création de notre plateforme Open Journal Systems, une prouesse technique pour la publication de revues scientifiques en open access, qui a permis à notre publication de prendre vie dans le paysage numérique. Il a fait preuve d’un professionnalisme remarquable, rencontrant les personnes clés et mobilisant les ressources nécessaires pour concrétiser notre vision. Sa capacité à naviguer entre les divers domaines d’études et à faciliter un dialogue interdisciplinaire a enrichi notre contenu de manière significative, rendant les recherches accessibles à un public étendu. Son engagement pour la clarté, l’inclusivité, et l’excellence imprègne chaque page, faisant de notre revue un modèle d’érudition et d’accessibilité.
La contribution d’Anthony Grégoire dépasse donc largement les tâches conventionnelles, comme : la gestion des soumissions d’articles par les auteur..ices, du processus d’évaluation par les pairs, l’édition des textes, la prise de décisions éditoriales, la publication y compris le formatage pour la publication en ligne et l’archivage, ou encore la prise en charge de plusieurs langues et formats de publication. Sa vision stratégique et son attention minutieuse à chaque détail de la création et du développement de la revue ont été indispensables à notre réussite éditoriale. Il affirme ainsi son rôle incontournable dans notre équipe. Nous lui sommes profondément reconnaissants, et moi en particulier, pour son dévouement inébranlable et son apport inestimable à notre projet.
Je voudrais également exprimer ma reconnaissance à Aurélie Thériault-Brillon et Sarah-Anne Arsenault pour leur travail méticuleux de révision, essentiel à la qualité de ce numéro. Leur expertise a non seulement amélioré chaque texte publié, mais a aussi garanti la cohérence, l’accessibilité et l’attractivité visuelle de notre revue. Leur attention aux détails et leur professionnalisme ont permis de présenter des idées complexes de façon claire et précise, tout en respectant l’intégrité de chaque contribution.
Je tiens à manifester ma reconnaissance envers l’engagement de Serge Lacasse et Carmen Bernier, dont les efforts inlassables ont été déterminants dans l’aboutissement de cette nouvelle revue. Leur travail en coulisses a été un pilier pour assurer la qualité et le succès de notre revue.
Il est important pour nous de saluer la contribution précieuse de Pierre Lasou, bibliothécaire à l’Université Laval, qui a été un véritable moteur de notre projet éditorial. Son travail, souvent réalisé dans l’ombre, constitue la fondation sur laquelle repose non seulement la qualité, mais aussi le succès de notre revue.
Ce premier numéro marque aussi la transition de la revue Recherche en éducation musicale 1 vers une plateforme plus englobante : Musiques : Recherches interdisciplinaires. Cette transformation souhaite répondre aux attentes actuelles et anticiper les tendances futures dans le domaine musical. Notre reconnaissance va également à Vincent Brauer, qui a précédemment dirigé la revue Recherche en éducation musicale, pour son engagement remarquable et sa capacité à fédérer contributeur..ices et lecteur..ices autour du nouveau segment « Pédagogie musicale » désormais intégré à Musiques : Recherches interdisciplinaires.
L’afflux considérable d’articles depuis le lancement de Musiques : Recherches interdisciplinaires met en lumière une dynamique intéressante dans notre domaine d’étude. Cela ne reflète pas seulement l’intérêt et le besoin pour une nouvelle voix au Québec, mais confirme également notre rôle complémentaire au sein du paysage éditorial existant. Nous sommes déterminé..es à répondre à cet élan en fournissant une plateforme essentielle pour le partage et la dissémination de recherches innovantes et significatives. Notre engagement est de travailler en synergie avec les revues déjà établies, contribuant ainsi à un écosystème de recherche vibrant et diversifié.
Le thème de notre numéro inaugural, « Pour un décloisonnement disciplinaire », reflète ainsi notre engagement à encourager le dialogue et la collaboration entre les différentes sphères de la recherche musicale, et au-delà. Nous croyons fermement que c’est à travers cet échange interdisciplinaire que de nouvelles perspectives émergent, nourrissant ainsi notre compréhension de la musique et de son rôle dans la société.
Dans notre engagement envers l’inclusivité et la diversité, vous constaterez, au fil des numéros, que notre revue mettra un point d’honneur à proposer, aux auteur..ices qui le souhaiteront, une approche rédactionnelle progressiste, en utilisant ce que Camille Circlude a nommé La typographie post-binaire : Au-delà de l’écriture inclusive (Éditions B42, 2023) 2. Dans ce travail novateur, l’autrice explore les dimensions de la typographie et du design de caractères dans le contexte de l’écriture inclusive, non-binaire et post-binaire, offrant une réflexion sur la manière dont le langage visuel peut s’adapter pour mieux refléter la diversité des identités de genre. Notre démarche souhaite donc aller au-delà de la simple reconnaissance des genres traditionnels; elle vise à respecter et à refléter la richesse de l’identité humaine dans toute sa complexité. En choisissant délibérément de ne pas nous limiter à une binarité de genre restrictive, nous embrassons une variété de perspectives et d’expériences de manière créative, contribuant ainsi à un dialogue plus inclusif et représentatif.
En choisissant de ne pas nous confiner exclusivement à une perspective binaire, nous invitons une multitude de voix et d’expériences, enrichissant ainsi le dialogue dans notre revue d’une manière profondément créative et inclusive. Cependant, nous sommes également conscient..es que « l’hyper-inclusivité » peut conduire à ses propres complications. Ainsi, nous offrons aux auteur..ices la liberté de s’aligner avec l’approche rédactionnelle qui résonne le plus authentiquement avec leur identité, leur conviction et leur discours, assurant que notre quête d’inclusivité demeure équilibrée et respectueuse de la diversité des perspectives.
Ainsi, l’utilisation de l’écriture post-binaire dans nos pages n’est pas anodine. Elle est le reflet de notre conviction que le langage a le pouvoir non seulement de décrire, mais aussi de façonner notre réalité. En reconnaissant et en valorisant une pluralité d’identités de genre à travers nos choix linguistiques – héritiers de traditions profondes –, nous participons activement à la création d’un espace où toutes les personnes peuvent se sentir vues, reconnues, entendues et respectées.
Cette approche rédactionnelle est un élément clé de notre mission : encourager la recherche et la discussion qui traversent et dépassent les frontières disciplinaires, mais aussi les catégories sociales, politiques et culturelles. En laissant le choix de l’écriture post-binaire, Musiques : Recherches interdisciplinaires s’engage à être une plateforme avant-gardiste, où le respect de chaque individu dans sa singularité est une priorité, favorisant ainsi un enrichissement mutuel à travers la diversité des voix qui composent le monde de la recherche musicale.
Nous sommes également honorés de présenter dans ce numéro les travaux de plusieurs auteur..ices éminent..es, dont les contributions exemplifient parfaitement l’esprit de décloisonnement que nous souhaitons promouvoir. Leurs textes, fruits d’une recherche rigoureuse et d’une réflexion profonde, abordent une variété de sujets qui témoignent de la richesse des approches interdisciplinaires en musique.
Parmi les contributions remarquables de ce numéro, Stévance et Lacasse examinent les complexités et les défis rencontrés par les artistes dans l’écosystème universitaire au Canada, focalisant sur le financement de la recherche et de la création. L’article identifie quatre problèmes : 1) l’ambiguïté dans la composition des jurys d’évaluation des subventions; 2) la confusion autour de l’utilisation des fonds attribués à la création; 3) une confusion sémantique entre les concepts de recherche et de création (et par extension, de la « recherche-création »); et 4) les relations problématiques entre artistes et décideur..ses administratif..ves. Face à cette situation, l’article propose des solutions pour améliorer la reconnaissance et la gestion de la contribution artistique à l’université, en particulier en ce qui concerne le financement pour les étudiant..es. L’article explore également les mécanismes et les critères d’évaluation des projets de recherche-création, afin de déterminer comment ils pourraient être ajustés pour mieux reconnaître et valoriser les contributions uniques des artistes au sein de l’académie. Cela pourrait inclure la création de comités d’évaluation spécialisés ou interdisciplinaires qui comprennent des membres issus des milieux artistiques, ainsi que des chercheur..ses en sciences humaines et sociales, pour assurer une évaluation plus équilibrée et inclusive des projets. En outre, les auteur..ices considèrent des modèles de financement innovants qui reconnaissent la spécificité des processus de création artistique, tels que des subventions basées sur des étapes de projet plutôt que sur des résultats finaux prédéfinis. Ainsi, selon eux..elles, ceci pourrait aider à surmonter certaines des difficultés administratives et financières rencontrées par les artistes dans le contexte universitaire, tout en encourageant une plus grande diversité et innovation dans la recherche-création. Finalement, l’élaboration de définitions plus claires et différenciées de la « recherche » et de la « création », ainsi que de leur intersection, pourrait contribuer à une meilleure compréhension et appréciation des divers types de contributions au sein de l’université. Cela nécessiterait un dialogue continu entre artistes, chercheur..es, administrateur..ices et décideur..es politiques pour assurer que ces définitions soient précises et reflètent la réalité dynamique de la création et de la recherche.
Nous plongeons ensuite, grâce à Berton, dans l’univers de Vincent d’Indy avec une étude sur le symbolisme de la cloche dans « Le Chant de la Cloche », une œuvre lyrique inspirée par le poème de Friedrich Schiller et composée pour un concours musical en 1885. Cette contribution met en avant la manière dont d’Indy intègre la cloche, à la fois comme élément musical imité par l’orchestre et comme objet scénique, pour ancrer son œuvre dans la tradition romantique. La cloche y est présentée comme un symbole sacré, marquant les étapes importantes de la vie et unifiant les hommes par son intensité sonore, son caractère religieux et sa mélodie harmonieuse. L’étude souligne également l’importance historique et sociologique de la cloche au XIXe siècle, évoquant les nombreuses « affaires de cloches » documentées par Alain Corbin, et comment l’œuvre de d’Indy permet de revisiter un paysage sonore révolu. La symbolique de la cloche, dans « Le Chant de la Cloche », reflète les thèmes romantiques de l’époque, tels que l’idéalisation du passé, la quête de l’absolu, et l’expression des émotions profondes et évoque d’autres utilisations de la cloche dans d’autres œuvres musicales, littéraires ou artistiques de la période romantique, soulignant ainsi les points communs et les différences dans le traitement de ce symbole, et surtout sa richesse évocatrice inattendue qui a sans doute contribué à une prise de conscience, ou à une valorisation des sons du quotidien dans l’art.
Enfin, pour ce qui est des articles, Hurst partage ses travaux consacrés à la réception de Richard Wagner à Toronto, à travers les yeux du Globe entre 1874 et 1876. L’autrice se concentre sur la première locale de Le Vaisseau fantôme en 1887, premier opéra complet de Wagner joué dans la ville, et explore comment la technologie de l’époque, avant l’avènement de l’enregistrement sonore, a influencé la transmission de l’opéra. Utilisant de manière fort éloquente le concept de « parasite » de Michel Serres pour analyser les réalités matérielles de l’opéra, l’article démontre comment les éléments intermédiaires entre l’émetteur et le récepteur transforment la communication. Le concept de « paratexte » est introduit pour montrer comment les matériaux entourant, mais n’étant pas officiellement partie de l’œuvre principale, tels que les journaux, la partition, et le télégraphe, ont joué un rôle crucial dans la perception de Wagner à Toronto, permettant une fragmentation et une réinterprétation continues de sa musique. Cet article est passionnant pour les perspectives qu’il ouvre, comme la manière dont les spécificités culturelles et sociales de Toronto à la fin du XIXe siècle ont pu façonner la réception de Wagner, ou la manière dont la communauté germanophone de la ville, par exemple, a pu influencer l’accueil et la diffusion du wagnérisme. Cette contribution permet une compréhension plus profonde de l’impact de Wagner sur la scène musicale canadienne.
Nos essais, d’André Papillon et de Rafael Zaldivar, approfondissent respectivement les séries dodécaphoniques cycliques et l’incorporation des rythmes Yoruba dans le jazz afro-cubain. Ces textes enrichissent notre numéro par leur exploration technique et personnelle, reflétant la diversité et la richesse des approches musicales. En effet, Papillon se penche sur les séries dodécaphoniques cycliques, caractérisées par leur fondation sur des séquences répétitives d’intervalle (2, 3, 4 ou 6), qui se déploient en motifs ascendants ou descendants. Cette exploration méthodique vise à comprendre les propriétés structurelles de ces séries, les techniques de leur création, et leur diversité potentielle. Ce type de série représente un champ spécifique dans l’étude de la musique sérielle, offrant des possibilités de renouvellement harmonique et mélodique grâce à sa structure cyclique. L’étude de Papillon permet d’élargir la compréhension de la musique sérielle en examinant comment ces structures cycliques influencent l’émotion et la perception de l’œuvre par l’auditeur. La relation entre la répétition d’intervalles et l’expérience auditive mérite une attention particulière, car elle pourrait révéler des aspects inattendus de la réception musicale sérielle.
Zaldivar offre, quant à lui, une analyse personnelle de la pratique performative de Chucho Valdés, soulignant l’intégration profonde des rythmes Yoruba au sein de sa musique. Ces rythmes, héritage de la culture cubaine depuis l’arrivée des esclaves ouest-africains, ont marqué la musique cubaine sur plusieurs siècles. Valdés, en combinant le jazz et la musique afro-cubaine, a forgé un style unique qui rend hommage à l’héritage afro-cubain tout en innovant dans le domaine du jazz. Zaldivar se positionne dans la continuité de Valdés, cherchant à créer une musique hybride et innovante. Cet essai permet d’explorer davantage la manière dont les rythmes Yoruba, au-delà de leur utilisation dans la performance, influencent la structure compositionnelle et thématique des œuvres. Une étude comparative entre différentes approches de l’hybridation jazz-afro-cubaine permettrait d’enrichir la compréhension des mécanismes à l’œuvre dans la création musicale contemporaine, soulignant l’importance de ces rythmes dans l’évolution du jazz moderne.
Enfin, je tiens à exprimer ma profonde gratitude à tous les auteur..ices pour leurs contributions significatives. Leur expertise et leur passion pour la musique nous guident vers de nouvelles compréhensions et appréciations. Et je remercie nos lecteur..ices, dont l’intérêt et le soutien sont essentiels à la pérennité de ce projet. Nous espérons que ce premier numéro vous inspirera, vous informera et vous encouragera à participer à la conversation interdisciplinaire que nous cherchons à nourrir par la voix musicale et sonore.
Musiques : Recherches interdisciplinaires aspire ainsi à être plus qu’une « autre » revue; nous souhaitons créer une communauté de partage et de découverte. Nous vous invitons à vous joindre à nous dans cette aventure intellectuelle pleine de créativité, où chaque note de musique, chaque son, chaque bruit et chaque mot écrit contribuent à une symphonie de connaissances et d’expériences interdisciplinaires.
Bienvenue dans notre communauté, et bonne lecture!
Sophie Stévance
Professeur Titulaire
Chaire de recherche du Canada en recherche-création en musique
Directrice de Musiques : Recherches interdisciplinaires
Directrice de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de
recherche en musique de l’Université Laval (OICRM-UL)