Résumé Bartók et l’Italie avant le fascisme Le succès de Bartók dans l’Italie de Mussolini Les dernières années du régime et le Mandarin merveilleux à la Scala La fin de la guerre et le « musicien de la liberté » Conclusion : l’héritage de Bartók au 20e siècle Bibliographie

La réception de Béla Bartók en Italie.
De l’histoire culturelle du fascisme au débat contemporain

Nicolò Palazzetti
Université de Rome La Sapienza

Résumé

Cet essai fournit un récit détaillé de la réception du compositeur, ethnomusicologue et pianiste hongrois Béla Bartók (1881-1945) en Italie à travers l’analyse de la presse périodique, des concerts publics et radiodiffusés, et des correspondances privés. La réception italienne de Bartók au 20e siècle est utilisée comme cas d’étude privilégié pour comprendre la genèse et la diffusion du mythe de Bartók en tant que héros antifasciste. L’essai mentionne également, dans une perspective comparative, la réception de Bartók en France.

Appréciée en Italie dès les années 1910, la musique de Bartók connut un succès considérable sous le régime de Mussolini malgré l’hostilité du compositeur à la violence fasciste. Bartók fut ensuite associé à la résistance culturelle antinazie au début des années 1940 et devint finalement un martyr de la liberté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La « vague bartókienne » qui s’affirma enfin en Italie pendant la guerre froide fut le résultat de la fusion entre le mythe de Bartók en tant que « musicien de la liberté » – une définition forgée en 1947 par le musicologue antifasciste Massimo Mila – et le mythe de la renaissance nationale. Une fusion qui avait ses origines dans le paysage sonore de la dictature fasciste et de la Resistenza.

Tout en fournissant au lectorat francophone les points de repère essentiels sur la réception italienne du musicien hongrois, l’essai fait aussi le point sur le « mythe de Bartók ». Cette question a suscité un débat au sein de la musicologie contemporaine et peut avoir des conséquences pour réévaluer la réception internationale du compositeur.

Il existe deux Béla Bartók (1881–1945). Le premier est décédé à New York le 26 septembre 1945. Le second est le Bartók mythique, héros de l’antifascisme, apparu après la mort en exil du premier. La stature morale du musicien hongrois a en effet été largement célébrée jusqu’à l’époque contemporaine (Espmark 2006; Taruskin 2006). Dans tous ces récits, le musicien hongrois est célébré comme un martyr ayant lutté contre la barbarie totalitaire. Après avoir fui l’Europe occupée en octobre 1940 pour continuer à défendre ses idéaux antifascistes, il fut ignoré par la société new-yorkaise. Ce tableau est d’autant plus poignant que, contrairement à d’autres exilés, Béla Bartók ne fut pas contraint de fuir son pays : son exil fut la conséquence d’un engagement politique, le résultat d’un choix qui aboutit à une longue maladie et à la mort en pays étranger. Les célébrations à l’occasion du rapatriement de son corps à Budapest en 1988 constituèrent un hommage posthume à cette figure prophétique, exploitée à des fins de propagande par un régime communiste alors en déclin (Gal 1991). Aujourd’hui encore, Bartók est une icône en Hongrie et le lancement en 2016 d’une édition critique intégrale de ses œuvres témoigne d’une aspiration à une forme d’immortalité culturelle (Gillies 2019).

Dès le tournant des années 2000, pourtant, plusieurs spécialistes de Bartók avaient déjà attiré l’attention sur l’ambiguïté de ses positions politiques. Selon Malcolm Gillies (2001), Bartók fut parfois incohérent, parfois naïf. Il fut successivement proche du communisme en prenant part au directoire de la Musique sous l’éphémère gouvernement de Béla Kun en 1919, du nationalisme en raison de ses sentiments anti-Habsbourg, puis de la démocratie capitaliste à cause de sa décision de se réfugier en Amérique. Bartók n’était certes pas nazi, souligne Gillies, mais il n’était pas non plus un pilier de la résistance : il continua à chercher à donner des récitals dans l’Allemagne nazie jusqu’en 1937, et même après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il entreprit une tournée de concerts en Italie.

Les polarisations idéologiques créées par le rideau de fer après 1945 ont marqué le processus de politisation posthume de la figure de Bartók (Leafstedt 2021). Par exemple, les œuvres ridiculisées dans les pays de l’Ouest étaient glorifiées à l’Est, et les compositions d’avant-garde interdites en Hongrie étaient célébrées en France (Fosler-Lussier 2007). Entre 1945 et 1956, Bartók occupa en effet une « place exceptionnelle » dans la presse française, comme l’a montré Michèle Alten. L’image politique de Bartók, artiste méconnu en France jusqu’à 1944, se construisit dans le « climat passionnel » de la guerre froide. Face au risque de censure de plusieurs œuvres de Bartók au sein de la nouvelle République populaire hongroise, la presse communiste française essaya de « remplacer l’image publique naissante d’un Bartók génial et démocrate », proche des valeurs prônées par les États-Unis, par celle « d’un Bartók patriote et antifasciste » (Alten 2004, 145).

Même si plusieurs légendes concernant l’antifascisme héroïque du compositeur ne résistent pas à leur examen historique, le mythe de Bartók – en tant qu’ensemble allégorique de croyances, exposé de façon acritique sous la forme d’un récit au sein d’une communauté culturelle (Bouchard 2013) – doit être interprété sur la base de sa valeur historique. La « mythification » (Boyer 2008) du musicien hongrois en tant que martyr de l’antifascisme et phare de la liberté a été utile à son introduction dans le canon musical des démocraties occidentales d’après-guerre. En même temps, l’insistance sur le lien entre la politisation posthume du compositeur et le contexte idéologique de l’immédiat après-guerre risque de sous-évaluer la fortune du mythe de Bartók – qui a survécu à la fin de la guerre froide –, de même que ses continuités avec l’antinazisme, le nationalisme et la résistance culturelle.

Cet essai explore la réception de Bartók en Italie dans la première moitié du 20e siècle sur la base de la presse périodique et des concerts publics et radiodiffusés. La genèse du mythe de Bartók commença avant la mort du compositeur et trouva au sein de la culture italienne – lieu d’émergence du fascisme – les configurations historico-culturelles aptes à en assurer la mise en forme. Cet essai intègre ainsi l’analyse de la réception avec les modèles historiographiques les plus récents, en signalant les continuités entre le ventennio et la nouvelle République, aussi bien que les rapports diplomatiques entre la Hongrie de Horthy, l’Italie de Mussolini et l’Allemagne d’Hitler. Le dépouillement de sources primaires1 m’a permis de répertorier les exécutions des œuvres de Bartók en Italie entre 1911 et 1950, y compris les exécutions radiophoniques, et a mené récemment à la publication d’une monographie (Palazzetti 2021)2. Dans la littérature secondaire, ce thème avait été abordé seulement par Maria Grazia Sità (Büky et Sità 2013). La réception de Bartók en France constitue ici un point de référence étant donné que la lecture politique de sa figure eut une résonance apparemment similaire en France et en Italie après la Seconde guerre mondiale.

Le présent essai est organisé chronologiquement et ce, en quatre parties. La première partie dessine les lignes principales de la réception italienne de Bartók avant le fascisme. La deuxième partie décrit le succès de Bartók dans l’Italie de Mussolini de la moitié des années 1920 jusqu’au début des années 1940. Malgré son indignation pour la montée de la violence contre les intellectuels non-alignés, Bartók fit de nombreuses tournées pianistiques dans l’Italie fasciste et, grâce aux programmes de coopération culturelle italo-hongroise, ses compositions furent jouées dans les festivals les plus importants du pays ainsi qu’à la radio. D’ailleurs, comme je le montre dans la troisième partie, même s’il se montra hostile à l’expansionnisme nazi après l’Anschluss, Bartók ne manifesta pas publiquement son antifascisme et, jusqu’à la fin des années 1930, il encouragea les exécutions italiennes de ses œuvres. De ce point de vue, la genèse du mythe de Bartók – en ce qui concerne le contexte italien – s’inscrit dans les politiques culturelles mises en place par le régime fasciste, de même que dans l’évolution des rapports de force entre l’Italie et l’Allemagne. En effet, et ceci n’est pas le moindre paradoxe, le compositeur « exilé » devint l’un des emblèmes de la résistance culturelle antinazie grâce au revanchisme de l’intelligentsia italienne qui, dans les dernières années de la dictature, voulait réaffirmer sa suprématie artistique au sein de l’Axe à travers la représentation des chefs-d’œuvre de l’expressionisme – tels que le ballet Le Mandarin merveilleux, créé à la Scala en 1942. La dernière partie de l’essai présente une analyse de la glorification posthume de Bartók dans l’immédiat après-guerre. Sa figure fut héroïsée par les intellectuels antifascistes afin de célébrer les origines culturelles de la Resistenza et légitimer le nouveau régime démocratique. Dès lors, une vague bartókienne émergea en Italie, phénomène historico-artistique plurivoque qui, entre 1945 et 1955, influença de nombreux compositeurs (comme Bruno Maderna), ethnomusicologues et intellectuels. Tout lien indirect du compositeur avec la dictature fut alors effacé : l’exil et la mort l’avaient transfiguré en martyr de la liberté, tout comme la gloire de la Resistenza et la catastrophe de la guerre avaient purifié le peuple italien. D’ailleurs, dans son introduction à la traduction italienne des Écrits sur la musique populaire de Bartók, publiés en 1955, l’ethnomusicologue Diego Carpitella n’hésite pas à souligner la résistance morale des œuvres du compositeur hongrois à la corruption de la civilisation européenne (Carpitella 2001).

Bartók et l’Italie avant le fascisme

Au cours des années 1910, le succès européen d’Arnold Schönberg et Igor Stravinsky fut supérieur à celui de Bartók : Stravinsky s’était imposé à l’attention du public parisien grâce à ses ballets (Benjamin 2013), et Schönberg avait bouleversé les critiques musicaux de Vienne (Buch 2013). Bartók, en revanche, n’avait pas réussi à se faire un nom avant le début de la Première Guerre mondiale (Gillies 2000), ni à Berlin – en dépit du soutien de Ferruccio Busoni –, ni à Paris – à l’exception des cercles de la Société musicale indépendante (SMI). En Italie, cependant, on trouve la trace du musicien hongrois dès 1911, lorsqu’il participe avec Zoltán Kodály (1882–1967) au Congrès international de musique de Rome, qui se déroula en avril 1911. Ce Congrès faisait partie d’un cycle de manifestations célébrant le cinquantenaire de la proclamation du Royaume d’Italie (17 mars 1861) et de l’unification politique du pays. La première exécution italienne d’une œuvre de Bartók est également liée aux célébrations du Cinquantenaire. Le Comité exécutif des manifestations romaines de 1911 organisa, entre autres, un Festival hongrois pour marquer l’ouverture de la saison symphonique du Teatro Augusteo. Ainsi, le 3 décembre 1911, Jenő Hubay dirigea la Suite n°1 pour orchestre, op. 3 (1905) de Bartók.

En dépit de leur intérêt chronologique, les débuts romains de Bartók en 1911 constituent des évènements isolés qui ne sont pas directement liés au processus de réception qui se développera dans l’entre-deux-guerres. Celui-ci fut plutôt entamé par l’action du compositeur et pianiste Alfredo Casella (1883–1947), lequel s’intéressa spécifiquement à Bartók pendant sa longue période de formation en France avant la Première guerre mondiale – Casella collabora notamment avec la SMI. Une preuve concrète de la prédilection de Casella pour Bartók réside dans le « ballet » futuriste pour marionnettes I Balli Plastici, conçu avec l’artiste Fortunato Depero. Composée de quatre actions scéniques, l’œuvre fut créée en avril 1918 au Teatro dei Piccoli de Rome. Casella décida en effet de transcrire pour orchestre de chambre le dernier morceau des Dix Pièces faciles pour piano (1908) de Bartók, intitulé Danse de l’ours, pour accompagner la toute dernière action scénique des Balli Plastici : L’Orso azzurro [L’Ours azur].

L’emprunt de Casella à Bartók révèle que les temps étaient mûrs pour la diffusion de sa musique en Italie; les collaborations du compositeur hongrois avec le chef italien Egisto Tango, qui dirigea à Budapest la création du Prince de bois en 1917 et celle du Château de Barbe-Bleu en 1918, ainsi qu’avec Universal Edition, son éditeur de référence jusqu’à la fin des années 1930, contribuèrent à sa célébrité en Italie. À partir de 1919, les deux principales revues musicales italiennes (Il pianoforte et la Rivista musicale italiana) publièrent des comptes rendus de ses partitions, dont la complexe Sonate n°1 pour violon et piano, op. 21 (1921). En 1921, le compositeur hongrois écrivit lui-même trois articles pour Il pianoforte.

La vague d’intérêt pour le musicien hongrois se vérifiait parallèlement dans une capitale culturelle comme Paris. Dès 1920, La Revue musicale commença à son tour à soutenir la musique de Bartók avec plusieurs articles et des concerts au théâtre du Vieux-Colombier (Delamarche 2012). Le 8 avril de la même année, La Revue musicale organisa un récital dans lequel Bartók se produisit en tant que pianiste et compositeur. Il interpréta des pièces de Kodály et de Ravel, ainsi que plusieurs de ses propres compositions, dont la Suite pour piano op. 14 (1916) et la Sonate n°1 pour violon et piano avec la violoniste Jelly d’Arányi. Aux yeux d’André Schaeffner (1922), Bartók occupait désormais « une place considérable dans l’évolution contemporaine » de la musique. Il est vrai, pourtant, que dans les années suivantes, l’intérêt pour Bartók en France resta confiné à un cercle de connaisseurs, et les concerts publics lors lesquels le compositeur pu interpréter ses œuvres en France furent rares (on peut en dénombrer quinze en tout au cours de toute sa carrière). En Italie, au contraire, l’impact de la figure de Bartók s’intensifia dans l’entre-deux-guerres.

Le succès de Bartók dans l’Italie de Mussolini

Le 3 janvier 1925, le Premier ministre Benito Mussolini se présenta devant la Chambre des députés du royaume d’Italie pour annoncer le passage à la dictature. Après l’assassinat du secrétaire du Parti socialiste Giacomo Matteotti en juin 1924 et le mouvement de contestation qui engloba le président du Conseil, l’option de l’État fort avait « le mérite de rassembler les partisans de la normalisation peu sourcilleux du respect de la liberté (le bloc nationaliste et conservateur) » (Musiedlak 2007, 262) et de se concilier les fascistes intransigeants. Le discours de janvier 1925 marquait la rupture avec l’État libéral. Dès la fin de l’année, les premières lois « fascistissime » transformèrent la monarchie parlementaire italienne en une dictature autoritaire grâce à la centralisation du pouvoir dans les mains du chef du gouvernement, l’interdiction des partis d’opposition, la censure de la presse, l’instauration d’une police secrète et, ensuite, du confino (« relégation ») pour les activistes antifascistes.

Ce fut dans ce contexte que Bartók fit ses tournées italiennes. Entre mars 1925 et avril 1929, il donna quatorze concerts dans plusieurs villes du pays : Bergame, Crémone, Gênes, Milan, Rome, Naples, Palerme, Trieste et Venise. La première tournée en mars 1925 fut organisée par Casella. Au cours des années 1930, Bartók devint ensuite l’un des « classiques » de la musique contemporaine en Italie : l’Allegro barbaro et la Suite op. 14 furent introduites dans les nouveaux programmes des conservatoires italiens, alors que ses compositions les plus récentes – la Musique pour cordes, percussion et célesta (1936), les quatuors à cordes, la Sonate pour deux pianos et percussions (1937) – étaient régulièrement jouées au Festival de musique contemporaine de Venise. À partir de 1927, la Radio nationale italienne contribua de son côté à la diffusion de ses œuvres pour piano.

Bartók n’était pas fasciste et sa correspondance privée montre clairement son aversion à l’égard d’Hitler et de Mussolini. Cependant, jusqu’à la fin des années 1930, le compositeur ne manifesta pas publiquement son antifascisme. Il suffit de remarquer que la première italienne de l’opéra Le Château de Barbe-Bleue eut lieu le 5 mai 1938 à Florence, quatre jours avant la visite officielle d’Hitler dans cette ville, et le compositeur lui-même fit deux tournées en Italie en avril et décembre 1939. En effet, l’excellente réception de la musique de Bartók dans le régime mussolinien fut le résultat d’un ensemble de causes. En premier lieu, il faudrait noter les similitudes entre certains aspects de la poétique du compositeur, comme la redécouverte du folklore musical, et certaines valeurs de l’idéologie fasciste. Cette dernière prônait la régénération artistique et technologique de la nation, tout comme la valorisation du patrimoine rural et national (Antliff 2002; Griffin 2007). Ces affinités apparentes, s’ajoutant à l’absence d’une prise de position publique, pouvaient favoriser des malentendus. D’une part, des expressions de ruralisme et régionalisme se retrouvent dans la musique italienne de l’époque. D’autre part, le régime fasciste ne manqua pas de protéger les avant-gardes artistiques comme le futurisme, l’aéropeinture, le rationalisme et même, plus tard, la peinture abstraite (Billiani 2021). Les attitudes du régime à l’égard de la musique et du théâtre contemporains étaient favorables. En définitive, l’ouverture aux tendances artistiques internationales et le soutien apporté au pluralisme esthétique n’étaient pas en contradiction avec le racisme et le contrôle des médias – qui atteignit son sommet en 1937 grâce au ministère de la Culture populaire (Ben-Ghiat 2001, 7).

Les historiens de l’art et de la musique ont souligné la dérive démagogique des politiques culturelles fascistes, divisant ainsi le ventennio en deux parties apparemment antithétiques : les années 1920, perçues comme révolutionnaires et modernistes, et les années 1930, caractérisées par leur dimension institutionnelle et réactionnaire (Ginot-Slacik et Niccolai 2019). Il existe, cependant, une continuité entre le fascisme « révolutionnaire » des années 1920 et le fascisme « totalitaire » des années 1930 : dans les deux cas, la diffusion des œuvres du modernisme musical et la collaboration des intellectuels étaient nécessaires afin d’achever le renouvellement de la nation et poursuivre le contrôle de la société. Plus généralement, la multiplication des acteurs et des courants intellectuels mettait en valeur le principe d’autorité du dictateur, qui avait toujours le dernier mot et réglait les différends éventuels. Bartók pouvait ainsi être apprécié par les musiciens les plus ouverts aux avant-gardes, comme Casella ou Malipiero, tout comme par les représentants conservateurs, voire réactionnaires, de l’establishment musical fasciste, comme Alceo Toni et Adriano Lualdi (Levi 2020). Ce dernier voulait même jouer la musique symphonique de Bartók dans un concert en plein air sur la place Saint-Marc à Venise en 19363.

Pour comprendre la fortune de Bartók dans l’Italie de Mussolini, il faut considérer également les relations entre l’Italie et le Royaume de Hongrie sous la régence autoritaire de l’amiral Horthy (Réti 2003). Les conséquences des traités de Versailles et Trianon, qui redessinèrent les frontières de l’Europe et engendrèrent le mythe d’une « victoire mutilée » en Italie (en dépit des concessions territoriales) et un puissant sentiment irrédentiste en Hongrie (face à une réduction importante du territoire), favorisèrent une alliance stratégique entre les deux pays, laquelle fut aussi soutenue par de collaborations culturelles. En 1927, l’Académie hongroise fut fondée à Rome dans le magnifique Palazzo Falconieri et, en 1935, son pendant italien fut créé à Budapest. Ces échanges entraînèrent des conséquences dans le domaine du théâtre, du cinéma et de la littérature (Ottai 2010; Rosselli 2007). La diffusion des œuvres de Bartók, de Kodály ou encore du jeune Sándor Veress (1907–1992) dans l’entre-deux-guerres peut être vue comme une conséquence de ces relations diplomatiques. Kodály devint un membre de l’illustre Accademia di Santa Cecilia à Rome en 1931, suivi par Ernő Dohnányi (1877–1960) en 1936.

La première italienne du Château de Barbe-Bleue de Bartók en 1938 lors de la quatrième édition du Maggio Musicale Fiorentino se situe à l’apogée de ce programme de coopération. Après sa création à Budapest en 1918, sous la direction du chef d’orchestre italien Egisto Tango, cet opéra avait obtenu un bon succès en Allemagne au cours des années 1920. Dans la décennie suivante, toutefois, il ne fut plus représenté dans les théâtres étrangers et ne fut mis en scène qu’une seule fois en Hongrie en 1936. La première florentine de 1938 était la sixième reprise de l’opéra. La mise en scène était une production hongroise réalisée par les artistes de l’Opéra royal de Budapest invités au Teatro Comunale de Florence. Il s’agissait d’une invitation importante puisque le festival du Maggio Musicale, qui avait été fondé en 1933, était l’un des fleurons du régime. Le chef d’orchestre de la soirée, l’Italien Sergio Failoni, était par ailleurs un acteur de la coopération culturelle italo-hongroise. À la suite de sa nomination en 1928 à l’Opéra de Budapest en qualité de directeur musical, il avait fait connaître au public hongrois plusieurs opéras italiens contemporains. Le 5 mai 1938, au Teatro Comunale de Florence, Failoni dirigea un programme entièrement consacré au répertoire hongrois : deux ballets sur la musique de Liszt – Carnevale di Pest et Fantasie ungheresi – et Le Château de Barbe-Bleue. La plupart des comptes rendus de la soirée sont enthousiastes (Abbiati 1938; Della Corte 1938). Comme l’affirme Arnaldo Bonavenura (1938) dans les pages du quotidien La Nazione : « L’œuvre est impressionnante ». Le sujet est « sombre, noir, effrayant, irréel, légendaire »4.

Les dernières années du régime et le Mandarin merveilleux à la Scala

La réception de Bartók connut un véritable essor dans les dernières années du régime. Entre janvier 1939 et décembre 1941, on compte au moins trente-huit exécutions de ses œuvres (Palazzetti 2021, 267–72). Par ailleurs, malgré sa réserve à l’idée de se rendre dans les pays de l’Axe, Bartók fit deux tournées en Italie en 1939. En mars et avril 1939, il entama sa cinquième tournée italienne en compagnie du violoniste Zathureczky : ils se produisirent au Teatro Regio de Parme, au conservatoire de Milan, au palais Pitti de Florence et à l’Accademia di Santa Cecilia de Rome. La seconde femme de Bartók, Ditta Pásztory, le rejoignit ensuite à Venise pour assurer la création italienne de la Sonate pour deux pianos (8 avril). Le concert milanais fut apprécié par Alceo Toni (1939), fervent partisan du fascisme et directeur du prestigieux conservatoire Verdi. Bartók fit une autre tournée de concerts à Florence, à Rome et à Turin en décembre 1939, pendant la période de la « drôle de guerre »5. Même après son départ définitif pour New York en octobre 1940, sa musique fut jouée en Italie régulièrement.

Pour comprendre ce succès bartókien jusqu’au crépuscule du régime, il faut bien considérer l’évolution du positionnement politique du musicien vis-à-vis de l’Italie et de l’Allemagne. L’analyse comparative de la réception dans les deux pays fait ressortir des différences. La proximité entre Horthy et Hitler dans la seconde moitié des années 1930 facilita certes la diffusion de l’œuvre de Bartók dans le Troisième Reich. Cependant, même si Breuer liste quarante-sept exécutions dans une période d’environ douze ans (Breuer 1995), il n’y eut aucune représentation des œuvres scéniques du compositeur après la montée au pouvoir d’Hitler. En plus, à cause de son credo politique ou plus prosaïquement en raison de la difficulté de conclure des contrats avantageux, Bartók ne fit plus d’apparition publique en Allemagne après le 23 janvier 1933. Le parcours de la réception de Bartók à Paris dans l’entre-deux-guerres ne fut pas grandiose non plus. Après le succès de ses concerts au début des années 1920, les événements organisés par l’association Le Triton au cours de la décennie suivante donnèrent l’occasion d’entendre le Cinquième Quatuor, ainsi que la Musique pour cordes. En 1933, en outre, la Version de concert du Mandarin merveilleux fut exécutée à la salle Pleyel et, en février et mars 1939, le compositeur lui-même joua sa Sonate pour deux pianos lors d’un dernier séjour dans la capitale française. Toutefois, « malgré l’admiration d’un cercle très réduit de compositeurs », souligne Alten (2004, 151), « la France resta jusqu’en 1940 le pays d’Europe le plus fermé à la musique de Bartók ».

Par rapport à l’Allemagne et à la France, la diffusion de l’œuvre bartókienne en Italie connut un élan à la fin des années 1930. Si l’attitude publique de Bartók vis-à-vis de l’Italie resta potentiellement ambiguë, sa position vis-à-vis du Troisième Reich changea concrètement après l’annexion de l’Autriche en 1938. À cet égard, plutôt que d’antifascisme bartókien, il faudrait parler d’abord d’antinazisme. Le 5 mai 1938, plusieurs intellectuels hongrois, dont Bartók et Kodály, publièrent une déclaration contre une nouvelle loi antisémite du gouvernement hongrois dans le quotidien Pesti Napló. En 1939, à la suite de nazification de la maison d’édition Universal, Bartók décida de signer un nouveau contrat pour l’édition de ses œuvres avec Boosey & Hawkes. À New York, ensuite, Bartók fit partie du Mouvement d’indépendance hongroise, une organisation antinazie qui voulait former un gouvernement hongrois en exil (Dreisziger 2005).

Pour interpréter les causes de la disparité (évidente à partir de 1938) entre la réception de Bartók en Italie et en Allemagne, il faut aussi prendre en compte l’évolution de la diplomatie culturelle entre les deux pays. La collaboration politique et militaire italo-allemande se traduisit par une lutte pour le pouvoir et la culture joua un rôle clé dans l’évolution de ces rapports de force (Reichard 2020). À partir de la fin de 1940, la stratégie italienne de la « guerre parallèle » (Heyriès 2021, 289–316) aux côtés de l’allié allemand se révéla un échec, et Hitler dut envoyer ses régiments en Grèce et en Afrique du Nord pour soutenir les troupes italiennes : Mussolini était désormais soumis aux décisions de Berlin6. Par conséquent, dans les années précédant la chute définitive du régime en juillet 1943, la culture devint, aux yeux des fascistes, un moyen pour réaffirmer l’indépendance de l’Italie vis-à-vis de l’Allemagne. L’héritage glorieux de la latinité et de la Renaissance devait être projeté dans l’avenir, et le modernisme esthétique fut une arme pour consolider la suprématie culturelle de l’Italie au sein de l’Axe. Plusieurs chercheurs ont analysé ce processus de soutien aux pratiques artistiques, y compris d’avant-garde, dans le domaine du cinéma, du théâtre et des arts au début des années 1940 (Gaborik 2021; Scotto D’Ardino 2012).

Les politiques italiennes dans le domaine de la musique en temps de guerre étaient guidées par un esprit revanchard, bien que tardif. Les lois antisémites de 1938 entraînèrent certes des conséquences désastreuses pour les intellectuels d’origine juive. Cependant, face à l’hégémonie militaire allemande, la culture italienne cherchait à revendiquer son indépendance. Entre 1940 et 1942, les œuvres de compositeurs contemporains interdits en Allemagne – à l’exception notable de Schönberg – furent jouées maintes fois au Teatro delle Arti de Rome sous l’œil bienveillant du régime, dont Stravinsky, Berg et Hindemith. De plus, le chorégraphe de formation expressionniste Aurél Milloss (1906–88) mit en scène Le Sacre du printemps et Mavra de Stravinsky au Teatro dell’Opera de Rome.

Ce phénomène culmina à l’automne 1942 avec les représentations de Wozzeck à Rome et du Mandarin merveilleux à la Scala. Le Teatro dell’Opera de Rome et le Teatro alla Scala avaient organisé conjointement un festival consacré au théâtre musical contemporain. Voulu par l’inspecteur général du Théâtre et de la Musique, Nicola De Pirro, ce cycle d’opéras était financé par le ministère de la Culture populaire. La création italienne du Mandarin merveilleux eut donc lieu le 12 octobre 1942 à la Scala, avec la chorégraphie de Milloss qui interpréta aussi le rôle-titre. L’œuvre avait déjà été jouée à Rome en janvier 1941 en version de concert, mais elle avait eu des difficultés à s’imposer sous forme scénique en raison de son sujet jugé scabreux, une « éruption artistique mêlant érotisme, violence et grotesque » qui « s’inscrit dans l’esthétique expressionniste » (Delamarche 2012). Lors de la première à Cologne en 1926, sous forme de pantomime, le scandale fut tel que le maire de la ville, le futur chancelier fédéral Konrad Adenauer, en interdit les représentations suivantes. La possibilité d’une création hongroise semblait désormais exclue. Ensuite, au cours de l’année 1936, Milloss rencontra Bartók à Budapest et le compositeur se laissa persuader de monter sa pantomime sous forme de drame chorégraphique. Mais, à en croire Milloss (1987), des difficultés économiques et surtout politiques empêchèrent la réalisation de l’œuvre. Au début des années 1940, ni le compositeur ni le chorégraphe ne vivaient en Hongrie. En effet, Milloss avait déjà émigré en Italie en 1938 pour prendre la direction du ballet de l’Opéra de Rome et d’en être l’étoile principale.

Grâce aux efforts de Milloss, le Mandarin merveilleux connut finalement une représentation dans l’Italie fasciste en 1942. Il s’agissait en vérité de la création mondiale de l’œuvre sous forme de drame chorégraphique (et pas de pantomime, comme à l’origine). Les décors et les costumes furent confiés au futuriste Enrico Prampolini lors d’une soirée qui rassemblait aussi les premières italiennes d’Amphion (1929) d’Arthur Honegger et des Carmina Burana (1935-36) de Carl Orff. Le succès fut considérable. Selon le témoignage du chef d’orchestre János Ferencsik (1942), il n’y eut pas moins de dix rappels à la fin de la représentation du Mandarin. Dans la revue d’art moderne Emporium, Eva Randi (1942) exalta notamment les décors de Prampolini : l’action ne se déroulait plus dans une chambre misérable de banlieue comme à l’origine, mais au dehors, dans le tourbillon des rues d’une métropole. Influencée par le cinéma expressionniste, la scénographie de Prampolini reconstruisait l’atmosphère dans laquelle le « drame chorégraphique » de Bartók fut conçu; à cet égard, Randi évoqua dans sa recension le film Le Cabinet du docteur Caligari (1920), dont l’auteur, Robert Wiene, avait fui l’Allemagne nazie.

Même si l’exécution des Carmina Burana pouvait être interprétée comme un hommage à l’allié allemand, la représentation du Mandarin mettait en valeur l’indépendance des politiques fascistes. Le régime cherchait même à récupérer l’adhésion de la jeunesse intellectuelle en concédant des espaces de discussion, voire de contestation. Le critique Ferdinando Ballo, en particulier, édita une collection de guides musicaux consacrée aux œuvres du festival de 1942. Cette collection fut publiée par la librairie milanaise La Lampada, refuge littéraire des opposants au régime, et Ballo en confia la rédaction à des intellectuels « dissidents ». Le jeune critique turinois Massimo Mila – qui avait été emprisonné par le régime de 1935 à 1940 – rédigea la section relative aux Carmina Burana, tandis que Luigi Rognoni s’occupait du Mandarin. La confrontation stylistique entre Orff et Bartók fut utilisée par Mila et Rognoni pour faire émerger une opposition politique. La valeur des compositions fut évaluée en fonction de la cohérence morale des compositeurs.

Selon Mila (1942), Carmina Burana était une œuvre fascinante mais ne pouvant exercer aucune influence sur la musique moderne. Rognoni (1942a) soutenait même que la vulgarité des Carmina Burana montrait l’impossibilité de toute forme de « compromis » entre l’idéologie nazie et l’art moderne; il célébrait, en revanche, la « cohérence morale7 » de Bartók (Rognoni 1942b, 21), tout en soulignant son lien avec l’expressionisme allemand. Selon Rognoni, Bartók appartenait à cette catégorie d’artistes qui n’avaient pas seulement exploré un nouveau langage artistique, mais avaient surtout rénové le contenu humain de l’art. Ses œuvres incarnaient « les plus hautes et les plus civiles aspirations de l’humanité8 » (Rognoni 1942b, 22–23). Le jeune musicologue réaffirma dans d’autres publications de la même époque sa lecture engagée du compositeur hongrois, notamment dans les notes de programme de l’exécution et dans deux comptes rendus. Il y exprimait en outre son admiration pour les compositeurs « interdits » par les nazis – Schönberg en tête. Aux yeux de Rognoni, la soirée du 12 octobre 1942 n’était pas le symbole de l’ouverture culturelle de l’Italie fasciste, elle constituait plutôt un acte d’accusation contre la barbarie de la guerre et du totalitarisme.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la représentation d’un chef-d’œuvre scandaleux de l’expressionisme dans le théâtre le plus important du pays ne pouvait être considérée comme un événement neutre. La valeur du Mandarin milanais en tant qu’acte d’opposition, mise en évidence par Rognoni et par le groupe de La Lampada, s’inscrit dans un environnement saturé de symboles politiques. La visibilité de ces signes était accentuée par l’absence de Bartók et de Lengyel dans la salle. En octobre 1942, Bartók vivait non seulement à New York depuis deux ans, mais il était aussi le président d’une organisation antinazie. Lengyel, de son côté, s’était installé à Hollywood en 1937. Il écrivit notamment les scénarios des comédies politiques d’Ernst Lubitsch, dont To Be or Not To Be (1942), une puissante satire du nazisme. Le public de la Scala vivait dans un pays en guerre, au bord d’une catastrophe politique et militaire. La danse macabre du Mandarin milanais pouvait être interprétée comme une allégorie de la violence de la guerre et, en même temps, comme une apologie de la liberté.

La fin de la guerre et le « musicien de la liberté »

À l’époque du Cycle d’opéras contemporains, le régime fasciste traversait une crise à la suite des défaites militaires en Afrique, et des difficultés en Russie et dans les Balkans. Le 24 octobre 1942, deux semaines après la création du Mandarin à la Scala, la ville de Milan fut bombardée par la Royal Air Force. Par ailleurs, les antifascistes italiens commencèrent à se réorganiser. La situation se détériora davantage en 1943. Le 10 juillet, plusieurs divisions anglo-américaines débarquèrent en Sicile. Deux semaines plus tard, le 24 juillet, le Grand Conseil du Fascisme approuva l’ordre du jour Grandi, mettant en minorité le Duce : Mussolini fut alors arrêté sur ordre du roi Victor-Emmanuel III. Le mois suivant, une guerre civile éclata dans le pays. La moitié septentrionale devint un état satellite du Troisième Reich, tandis que le Mezzogiorno tombait sous le contrôle des Alliés. Un mouvement de partisans antifascistes, dirigé par le Comité de libération nationale, commença alors à lutter contre l’envahisseur nazi en favorisant l’avancée des Alliés vers le nord. Au printemps 1945, l’offensive des Alliés dans la grande plaine du Pô marqua la capitulation définitive des armées allemandes en Italie et la dissolution de la République sociale italienne. Le 29 avril, le cadavre de Mussolini fut pendu par les pieds sur le Piazzale Loreto à Milan.

L’année 1945 indique, d’une part, l’« année zéro » de la nouvelle démocratie italienne, fondée sur la Resistenza. D’autre part, cette année est le centre d’une période de transition. Comme l’a souligné Ben-Ghiat (2008, 146–47), « l’attitude tournée vers l’avenir des partis politiques et des récits collectifs, autant que l’insistance de l’historiographie sur la reconstruction de l’Italie dans le contexte de la guerre froide et du modèle américain de modernisation, ont altéré la sensation, dominante en 1945 et 1946 chez les Italiens, de vivre un interrègne ». À partir des années 2000, les études d’histoire culturelle ont tracé des lignes de continuité entre la période fasciste et la nouvelle ère républicaine, tout en considérant l’année 1945 comme une frontière poreuse plutôt que comme une rupture péremptoire entre deux époques9. L’analyse de la réception de Bartók en Italie permet d’étudier, d’un point de vue historico-musical, ce moment de transition.

La création italienne du Mandarin merveilleux peut-elle être interprétée comme l’indice d’une opposition montante envers le nazisme ? Cette hypothèse est délicate. Il est clair que la représentation du 12 octobre 1942 constitua a posteriori une expérience importante pour l’élaboration du mythe de Bartók et pour la légitimation culturelle de la Resistenza. Malgré le succès du musicien hongrois pendant le fascisme, la valeur résistante des œuvres de Bartók fut de plus en plus mise en évidence, dès 1943, par les musiciens et les critiques italiens. Peu d’entre eux participèrent à la Resistenza, mais ils établirent une corrélation entre les compositions modernistes de Bartók et la résistance culturelle au totalitarisme. En 1943, par exemple, avant de rejoindre les partisans véronais, le jeune compositeur vénitien Bruno Maderna écrivit, au front, un quatuor à cordes manifestement influencé par la poétique bartókienne (Palazzetti 2015).

La comparaison avec la France se révèle éclairante. Durant l’Occupation, l’œuvre de Bartók, bien que non frappée d’interdiction, fut largement ignorée. Cependant, en mai et juin 1944, se déroula à Paris un festival franco-hongrois : le programme comprenait le Cinquième Quatuor et la Musique pour cordes. Comme le remarque Alten, quelques jours avant le débarquement en Normandie, « ce besoin de sonorités et de rythmes dérangeants traduit-il les aspirations à la liberté des mélomanes français? » (Alten 2004, 147). L’association entre dissonance et dissidence reste à établir. Il est pourtant vrai que les exécutions des partitions de Bartók se multiplièrent en France, et sa musique entra dans le répertoire. Dès la fin de 1945, un festival rendit hommage au musicien disparu, et Yvonne Loriod joua le Second Concerto pour piano (1930–31). La Première Sonate pour piano (1945) d’André Jolivet est par ailleurs dédiée « à la mémoire de Béla Bartók ».

Bartók s’éteignit le 26 septembre 1945 à New-York à l’âge de 64 ans, vaincu par la leucémie. Dans les mois qui suivirent sa mort, la diffusion internationale de son œuvre prit un grand essor, et l’Italie fut au premier plan dans ce processus. Dès le mois d’août 1945, l’Union culturelle – une association turinoise fondée par de jeunes intellectuels antifascistes, dont l’écrivain Cesare Pavese – avait organisé un concert de musique contemporaine pour un public de 80 ouvriers. Le programme comprenait la Musique pour cordes. Les 2 et 4 décembre 1945, le Mandarin fut mis en scène au Teatro Adriano de Rome dans la chorégraphie de Milloss. Les représentations romaines du Mandarin eurent une grande résonance – le succès fut tel que l’œuvre fut à nouveau jouée le 6 janvier en version de concert. Au cours de 1946, les œuvres orchestrales de Bartók furent jouées à maintes reprises par les orchestres les plus importants du pays, tels que l’Orchestre symphonique de Turin et l’Orchestre de l’Accademia di Santa Cecilia. Le Divertimento pour orchestre à cordes (1939) fut exécuté à Florence et à Turin, tandis que la Suite de danses (1923) fut jouée à Bologne, à Rome et à Turin.

Le 11 octobre 1945, par ailleurs, deux semaines après la mort du compositeur hongrois, Casella publia une nécrologie dans l’hebdomadaire romain Cosmopolita intitulé « Béla Bartók ou la mort en exil » (Casella 1945). Selon le compositeur turinois, Bartók fut un « extrémiste » : d’abord communiste puis antinazi, il mourut dans un pays lointain. Cependant, affirme Casella, Bartók avait érigé au cours de sa vie un monument en l’honneur du peuple hongrois contre la guerre et le fanatisme. Le texte de Casella fut même radiodiffusé en novembre 1946 lors d’un concert symphonique commémoratif pour le compositeur hongrois organisé par la Radio italienne. Quatre jours avant ce concert, d’ailleurs, Rognoni (1946) avait publié une nécrologie du compositeur hongrois dans la troisième page du Radiocorriere, organe de communication de la radio nationale italienne. L’article, qui s’intitule « Coerenza di Bartók », reprend les thèses que le musicologue avait déjà développées en 1942 à l’occasion de la création du Mandarin.

La consécration définitive du « musicien de la liberté » arriva en 1947. Le 14 décembre, Mila publia un article monographique dans le quotidien L’Unità, organe officiel du Parti communiste italien (PCI). Dans cet écrit, qui s’intitule « Béla Bartók. Camarade et grand musicien », Mila célèbre le « musicien de la liberté » (Mila 1947). La force rhétorique de l’article ne réside pas dans l’originalité de ses arguments, mais dans l’autorité morale de son auteur : le musicologue turinois avait été emprisonné par le régime fasciste à cause de ses liens avec le mouvement clandestin Justice et Liberté et, à partir de 1943, il avait pris part à la résistance contre l’occupation nazie (Cuomo 2019). À la différence de Casella, Mila pouvait donc s’arroger le plein droit d’établir une corrélation entre l’œuvre de Bartók et la résistance culturelle au totalitarisme; en même temps, il ne pouvait pas être associé directement au communisme, en raison de son action dans le Parti d’action. Dans son texte, Mila utilise une rhétorique hagiographique et transforme la réflexion musicologique en manifeste politique. Au début de l’article, par exemple, les créations mondiales de la Musique pour cordes et de la Sonate pour deux pianos en 1937 et en 1938 sont décrites comme des événements messianiques. Mila compare l’avènement de Bartók dans la culture européenne, lent mais inéluctable, à la structure musicale de ses mouvements lents – comme la fugue qui ouvre la Musique pour cordes. La poétique de Bartók, affirme Mila, n’est pas un simple baromètre qui mesure l’atmosphère culturelle de son temps; bien au contraire, l’expérience artistique de Bartók a anticipé les révolutions culturelles du 20e siècle et se révèle être un moteur de l’histoire. Grâce à l’analyse de la figure exemplaire de Bartók, Mila peut creuser à nouveau la question de l’« efficacité de la culture » et réaffirmer ses idées sur l’inactualité, et donc la prééminence des mouvements culturels et des œuvres artistiques par rapport aux événements historiques (Mila 2011, 101–9). La liberté stylistique de Bartók devient le symbole d’une supériorité morale et possède une grande valeur pédagogique. La conclusion de l’article, marquée par la récurrence du mot liberté, est en fait une apothéose. La fantaisie musicale de Bartók, écrit Mila, est nourrie par la foi dans la liberté et le progrès social, ainsi que par la valorisation des espoirs du peuple. Le musicologue turinois ne se borne pas à glorifier les vertus morales du compositeur – homme paisible et incorruptible –, mais exalte aussi sa beauté physique : « la bonté lumineuse de ses yeux » et « de ses traits », « la noblesse de ses cheveux blancs ». Mila transforme le « musicien de la liberté » en un ange gardien qui nous protège « comme un frère aîné » (Mila 1947)10.

Conclusion : l’héritage de Bartók au 20e siècle

L’article de Mila représente une forme de production mythologique : une reconstruction allégorique du passé qui restitue une signification à des processus potentiellement contradictoires pour fabriquer des mythes. Tout en s’appuyant sur une rhétorique familière au niveau national, Mila dessine un modèle non fasciste d’action collective, et ajoute un nouveau héros au martyrologe de la Resistenza : « le musicien de la liberté » qui s’est sacrifié contre la violence du nazisme. Par ailleurs, grâce à Bartók, Mila peut retracer les origines culturelles de la Resistenza dans les chefs-d’œuvre de la musique contemporaine afin de légitimer les valeurs universalistes de la nouvelle démocratie italienne et sauvegarder l’efficacité des valeurs esthétiques. Bartók, qui de son vivant s’était tenu prudemment à l’écart des querelles politiques, devient ainsi aux yeux de Mila le symbole de la supériorité morale de l’œuvre d’art, le signe inconscient de sa résistance potentielle aux totalitarismes.

À partir de 1948, sous l’influence concomitante du jdanovisme et d’une certaine lecture de la pensée de Gramsci, plusieurs critiques italiens exaltèrent le « réalisme bartókien ». La valorisation du folklore, en tant qu’expression des classes dominées, devient un facteur de résistance face à l’hégémonie bourgeoise (Zafred 1950). En France, le rapport entre Bartók et presse communiste fut encore plus étroit. À partir de 1949, les revues proches du Parti Communiste Français, comme Europe ou La Nouvelle Critique, se mobilisèrent pour montrer le caractère « progressiste » de l’œuvre de Bartók, tout en justifiant les politiques de l’Union soviétique. Les commentateurs – parmi lesquels on rappelle Serge Nigg et Guy Tréal – orientèrent leurs textes notamment autour de trois thèmes : le musicien au service de la nation, le compositeur inspiré par le peuple et l’exilé en détresse aux États-Unis (Alten 2004, 152).

À la fin des années 1940, les partisans de Bartók le défendirent aussi contre les critiques formulées par René Leibowitz (1947). En avril 1948, La rassegna musicale publia la traduction italienne d’un article en anglais de Boris Schlœzer (1948) paru le mois précédent dans la revue française Transition. Schlœzer rejette les accusations de compromission. Il trace une distinction entre la valeur « esthétique » et la valeur « historique » des œuvres d’art et condamne ainsi l’idée que la poétique d’un compositeur doive être jugée uniquement sur la base de sa position dans la marche vers un soi-disant progrès du langage musical.

Moins de dix ans après sa mort, Bartók était devenu un enjeu majeur de la vie culturelle italienne aussi bien que française. À la fin de son article, Alten (2004, 164–5) revient sur les causes de l’explosion de la renommée du compositeur en France après 1945. À son avis, « trois facteurs expliquent le surgissement rapide », bien que posthume, de la figure de Bartók en France. En premier lieu, la mort du musicien, qui donna à celui-ci « une aura de créateur maudit, victime de l’incompréhension de ses contemporains ». En deuxième lieu, la diffusion progressive de son œuvre, grâce aux concerts, à la radio et à la presse. En troisième lieu, la polémique qui utilisa le musicien afin de dénoncer, pour les uns, le totalitarisme communiste et, pour les autres, l’impérialisme américain. Ces facteurs peuvent aussi s’appliquer au contexte italien. Cependant, il subsiste une différence cruciale entre les deux pays. Si Bartók était relativement méconnu en France jusqu’en 1944, son œuvre avait déjà eu une diffusion considérable en Italie pendant le fascisme. La guerre froide renforça des valeurs associées à la figure de Bartók qui avaient commencé à émerger – au moins en Italie – avant la Seconde Guerre mondiale.

La réception italienne de Bartók montre que la politisation de sa figure ne fut pas seulement une conséquence des actes du compositeur, mais le fruit d’un processus collectif qui se déroula dans une période traumatisante de l’histoire italienne – les années 1940 –, mais dont les origines remontaient aux premières décennies du siècle. Aux yeux de Mila (1949), la musique de Bartók exprimait les principaux mythes de notre époque, elle était le miroir d’une génération. Cette mise en relation entre processus historiques et pratiques culturelles permet d’analyser mieux la transition entre totalitarisme, Resistenza et démocratie dans « un pays où le “paradigme antifasciste”, en forgeant le mythe d’un peuple italien fondamentalement étranger au régime, contribua indirectement au refoulement de l’expérience du fascisme » (Bechelloni et Tabet 2012). En définitive, la puissance du mythe de Bartók ne réside pas dans sa véracité, mais dans sa capacité à exprimer les valeurs et les utopies des mouvements de résistance. La musique de Bartók constitue une fascinante possibilité d’écoute, dans laquelle résonne l’histoire du siècle dernier, et sa mémoire.


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  1. L’article se fonde sur le dépouillement de sources primaires conservées notamment dans les fonds d’archives sur la musique italienne de la première moitié du 20e siècle de la Fondation Giorgio Cini de Venise, ainsi que dans les fonds d’archives de plusieurs quotidiens et publications périodiques en Italie (La Stampa, L’Unità et le Radiocorriere) et institutions théâtrales (dont l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia de Rome, le Festival de musique contemporain de Venise et le Teatro alla Scala).↩︎

  2. Pour une lecture critique de mes arguments, voir Richard Taruskin (2023, 117–24).↩︎

  3. Voir la correspondance privée en allemand entre Adriano Lualdi et Béla Bartók entre juin et juillet 1936 (Palazzetti 2021, 75).↩︎

  4. « Il lavoro è impressionante. Cupo, fosco, terribile, ha qualcosa di irreale e leggendario ». Je traduis.↩︎

  5. La période de la « drôle de guerre » s’étend conventionnellement du 3 septembre 1939, date de la déclaration de guerre de la France et de la Grande-Bretagne à l’Allemagne, au 10 mai 1940, lorsqu’eut lieu l’invasion de la Belgique, des Pays-Bas, puis de la France par les troupes allemandes dans les Ardennes (12-14 mai). Cette expression évoque l’inaction des alliés après la campagne de la Pologne. Elle résulte probablement d’une mauvaise traduction de l’expression anglaise « Phoney War », confondue avec « Funny War ». D’autres termes existent pour désigner cette période. Malgré cette appellation, des événements significatifs marquèrent la suite de la guerre, comme la guerre d’Hiver (ou guerre soviéto-finlandaise) et la campagne de Norvège.↩︎

  6. L’expression « guerre parallèle » désignait l’ambition de l’Italie fasciste de mener des actions militaires autonomes aux côtés de son allié allemand du 10 juin 1940 au mois de mars 1941 dans sa sphère d’influence naturelle : les Alpes, l’Afrique du Nord, l’Afrique orientale, les Balkans et la Méditerranée.↩︎

  7. « La coerenza del mondo morale ». Je traduis.↩︎

  8. « L’affermazione e la difesa delle più alte e civili aspirazioni umane ». Je traduis.↩︎

  9. « Il y a vingt ans, Claudio Pavone estimait, dans son ouvrage désormais “classique”, Una guerra civile. Saggio storico sulla moralità nella Resistenza, qu’“il reste encore à étudier de façon adéquate le processus de l’après-guerre”. Les années soixante-dix et quatre-vingt avaient été l’époque d’un indéniable renouveau des travaux sur le fascisme. Par la suite, les années quatre-vingt-dix et deux mille ont été celles d’un débat, souvent virulent, à propos d’une certaine forme de révisionnisme, sur fond de “crise de l’antifascisme”. Depuis quelques années, il semble en revanche que la question évoquée par Pavone – à savoir celle de la transition du fascisme à la République – soit devenue particulièrement actuelle dans l’historiographie et le débat public italiens. Cette actualité a du reste été accrue par la parution, durant les dernières années, d’un ensemble d’autobiographies, de correspondances privées et d’archives d’intellectuels, de journalistes et de personnages publics de premier plan qui – à travers la guerre mondiale et la guerre civile – ont vécu alors un moment qui les a amenés à opérer des choix qui marquèrent profondément leurs itinéraires, privés et publics » (Bechelloni et Tabet 2012, § 1).↩︎

  10. « Tanta luce di umana bontà sprigionava dallo sguardo chiaro, dai tratti fini del volto, dalla nobiltà dei capelli bianchi »; « musicista della libertà »; « un grande fratello ». Je traduis.↩︎




Musiques : Recherches interdisciplinaires 1, n°2