La culture au Québec au temps de la pandémie. Réaction, adaptation, normalisation, résistance et hybridation [recension]
Jean-Hugues Robert
Université Laval
Résumé
Recension de l'ouvrage de Hervé Guay, Louis Patrick Leroux et Sandria P. Bouliane, La culture au Québec au temps de la pandémie. Réaction, adaptation, normalisation, résistance et hybridation. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 2024, 440p. ISBN : 9 782 760 650 329
Ouvrage recensé : Guay, Hervé, Louis Patrick Leroux et Sandria P. Bouliane (éds.). 2024. La culture au Québec au temps de la pandémie. Réaction, adaptation, normalisation, résistance et hybridation. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 440p. ISBN : 9 782 760 650 329
L’ouvrage collectif La culture au Québec au temps de la pandémie, dirigé par Hervé Guay, Louis Patrick Leroux et Sandria P. Bouliane, rassemble vingt-huit contributions de chercheurs, artistes, professionnels de la culture et étudiants. Hervé Guay est professeur de théâtre et directeur du Département des lettres et communications de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Louis Patrick Leroux, recteur de l’Université Saint-Paul à Ottawa, est reconnu pour ses travaux sur le théâtre et le cirque. Sandria P. Bouliane, professeure de musicologie à l’Université Laval, dirige le projet interdisciplinaire La vie musicale au Québec. Tous trois sont membres du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture au Québec (CRILCQ). Dès mars 2020, le CRILCQ a lancé un chantier pour documenter la crise engendrée dans le secteur des arts et de la culture par les mesures sanitaires restrictives mises en place durant la pandémie de COVID-19, laquelle s’est échelonnée de mars 2020 à juin 2022. Ce projet visait à recenser les activités culturelles déployées durant cette période exceptionnelle afin de constituer un corpus de référence destiné à la recherche et au grand public. Son objectif était également de dégager, même s’il était encore trop tôt pour en proposer un portrait complet, certaines tendances qui se dessinaient dans le milieu. Inspirés du concept d’archive participative (Alaoui 2021), les codirecteurs ont invité les auteurs à raconter la pandémie telle qu’ils l’ont vécue et observée, au Québec. Cette démarche a donné lieu à une base de données, à des journées d’études (« Réagir, créer, persévérer », mars 2021) et à la publication de l’ouvrage collectif recensé ici, avec l’appui de partenaires comme l’ADISQ, En piste, Littérature québécoise mobile et le Regroupement du conte au Québec.
Les vingt-huit contributions qui composent le recueil se répartissent en quatre sections — 1) Recenser et chercher, 2) Créer, 3) Diffuser et 4) Subsister — et couvrent vingt-et-une pratiques artistiques (musique, cirque, théâtre, littérature, etc.) offrant un regard situé, à la fois analytique et expérientiel, de ce phénomène mondial. Plusieurs chapitres reposent sur une périodisation commune, une organisation en quatre étapes qui semble s’être imposée sans coordination explicite entre les auteurs. D’abord, la phase de réaction (mars-mai 2020) qui correspond au confinement initial, marqué par l’improvisation et le passage rapide aux activités virtuelles. Vient ensuite la phase d’adaptation (mai-septembre 2020) qui se caractérise par un déconfinement progressif, une reprise prudente des activités en présentiel, un usage accru des espaces publics et une amélioration des productions numériques. Par la suite, la période de normalisation (septembre 2020-mars 2021) voit les pratiques en ligne s’institutionnaliser, une réflexion émerger sur leur monétisation, et apparaître des contrastes sectoriels (contraintes pour le spectacle vivant, vitalité accrue pour les librairies). Enfin, la phase de résistance et d’hybridation (mars 2021-décembre 2023) correspond à une réorganisation durable du travail et des pratiques, mêlant présentiel et virtuel, tout en remettant progressivement en question cette « nouvelle normalité ».
La section Recenser et chercher réunit cinq chapitres sur les enjeux méthodologiques, la recherche en temps réel et l’archivage collaboratif, abordant aussi des cas liés à la littérature et aux arts de la scène. La partie Créer, composée de neuf chapitres, illustre les stratégies d’adaptation des artistes. Deux textes examinent la crise du cirque, qui a favorisé le développement de pratiques plus intimes et expérimentales. Un autre montre que la pandémie a stimulé, malgré les contraintes, la créativité, la production et la diffusion chez les artistes musicaux émergents. Deux chapitres analysent des événements ayant transitionné vers le numérique (Axart en direct et le Festival des arts de Saint-Sauveur). La télévision fait également l’objet d’un double examen, d’abord sous l’angle de la réémergence du direct, puis de la production de séries sous contraintes sanitaires. Enfin, deux témoignages reviennent sur des lectures téléphoniques d’extraits de pièces de théâtre et l’enseignement de la danse en mode virtuel.
La section Diffuser, en sept chapitres, explore les stratégies pour maintenir le lien avec le public. Le premier chapitre s’intéresse aux musées qui ont développé des expositions et ateliers numériques, le second au milieu de l’humour, qui a accéléré son virage en ligne et testé de nouveaux lieux de diffusion. Les deux textes suivants examinent, d’une part, les pratiques innovantes mises en place dans le milieu des drag queens et, d’autre part, celles adoptées par la revue littéraire étudiante Le Pied afin de maintenir leurs pratiques créatives et de préserver leur audience. Une autre contribution porte sur la table ronde qui a regroupé en mars 2021 des représentants de l’industrie musicale et souligne la nécessité d’élaborer de nouveaux modèles d’affaires dans un secteur déjà fragilisé. Le chapitre portant sur le milieu littéraire met en évidence la croissance concomitante des ventes et des emprunts de livres, qu’ils soient en format papier, numérique ou audio. Enfin, deux chapitres étudient les comportements des spectateurs : l’un par une approche qualitative, l’autre par une enquête quantitative auprès de 2 300 répondants, interrogeant notamment l’effet des expériences culturelles limitées ou insatisfaisantes sur l’éventuel retour en salle des spectateurs.
La dernière section, Subsister, comprend six chapitres qui traitent à la fois de la précarité et de la résilience du milieu culturel. Le premier s’appuie sur un sondage mené en novembre 2021 auprès d’organisations et de travailleurs autonomes du secteur des arts pour démontrer que ce milieu figure parmi les plus sévèrement touchés sur le plan économique et que les programmes gouvernementaux de soutien se révèlent largement inadaptés à sa situation et à ses besoins spécifiques. Le dossier de la philanthropie est abordé dans un autre chapitre qui examine l’émergence de nouvelles pratiques, notamment celle du billet solidaire. Les deux contributions suivantes traitent, d’une part, des défis rencontrés par une autrice face au maintien de relations Nord-Sud entre le Canada et le Pérou et, d’autre part, de ceux auxquels sont confrontés cinq enseignants des arts de la scène (musique, théâtre, cirque) contraints de poursuivre leur enseignement en mode virtuel et en l’absence de spectateurs. Une autrice s’intéresse ensuite à un important corpus de parodies de chansons québécoises portant sur la COVID, en examinant notamment la question de la légalité de cette pratique. Enfin, l’ouvrage se conclut en abordant la question de la fatigue numérique, qui est définie comme l’effet d’un usage intensif des écrans combiné à la mise en suspens de l’engagement, un phénomène susceptible d’influencer durablement la participation culturelle et sociale des personnes touchées.
Dans son ensemble, l’ouvrage constitue une contribution importante à la documentation de la pandémie et à la compréhension de ses effets sur le milieu culturel québécois. À la fois archive, témoignage et analyse, il met en évidence les tensions, les disparités et la créativité qui ont marqué la période 2020–23. Plutôt que d’être conçu pour une lecture linéaire, il se consulte comme outil documentaire utile à celles et ceux qui recherchent des informations sur des secteurs ou problématiques spécifiques. La répétition de la trame chronologique dans plusieurs chapitres n’y constitue pas un défaut, chaque texte restant autonome. De même, l’hétérogénéité des contributions, certaines adoptant un ton personnel et descriptif, d’autres offrant des analyses plus systématiques, ne nuit pas à la cohérence de l’ensemble. Si plusieurs textes soulignent qu’il est encore trop tôt pour mesurer pleinement les impacts de la pandémie, cette impression de récit suspendu se révèle cependant une force : elle ouvre des pistes de réflexion et pose des questions dont les réponses restent à construire. En définitive, ce collectif s’impose comme une référence précieuse et un point de départ essentiel pour les chercheurs et professionnels qui, dans les années à venir, étudieront les répercussions durables de la pandémie sur la vie culturelle québécoise.
Musiques : Recherches interdisciplinaires 2, n°2
Copyright © Jean-Hugues Robert 2025
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