Résumé De l’intérêt d’explorer le processus de co-création autrement Une démarche herméneutique et réflexive Mise en récit du processus : les faits saillants La constitution progressive de la chanson L’analyse des interactions et ses effets inattendus L’apport multiple de l’observation participante active Conclusion Bibliographie

Mieux comprendre le processus de co-création d’une chanson : la réflexivité au service d’un projet de recherche-création

Sarah-Anne Arsenault
Université Laval

Résumé

Comment, au cours d’un processus de co-création, les idées sont-elles nouées les unes aux autres? Quel rapport se développe-t-il entre les co-créateur et co-créatrices et leur œuvre? Pourquoi la co-création est-elle parfois si difficile, même dans un climat où règnent la confiance et le respect? Si la création collaborative a fait l’objet de nombreuses recherches en éducation comme en psychologie, elle reste encore peu étudiée en elle-même, comme mode de création particulier. Cet article rend compte d’un projet de musicologie adoptant l’approche de recherche-création, dont le volet recherche vise à mieux comprendre le processus de co-création d’une chanson grâce à l’observation participante active (OPA), tandis que le volet création vise à produire une chanson significative pour ses co-créateur et co-créatrices.

Par une démarche herméneutique et réflexive, je montre que c’est la prise en compte de mon propre cheminement dans ce projet qui m’a permis de mieux comprendre la complexité des composantes à la fois créatives, collaboratives et interactionnelles du processus de co-création. Mes analyses, effectuées à partir de transcriptions, d’un journal de bord, d’entretiens individuels et d’une autoconfrontation croisée, m’ont aussi permis de réfléchir au rôle d’une personne en situation d’autorité au sein d’un groupe de co-création : comment peut-elle intervenir pour « faciliter » le processus créatif tout en minimisant son influence sur celui-ci? J’ai en effet choisi de collaborer avec des jeunes de 15 à 17 ans sans expérience en écriture de chansons, mettant ainsi à l’épreuve la notion de zone proximale de développement de Vygotski (1981). En somme, mes résultats montrent que le recours à une posture épistémologique plus traditionnelle n’aurait pas permis de révéler certaines subtilités intersubjectives du processus de co-création, telles que l’étonnante ambiguïté du lien qui unit les co-créateur et co-créatrices à leur chanson.

Peu importe le domaine artistique, une création collaborative peut se dérouler de manière bien différente selon les paramètres en jeu : la présence ou non d’un..e leadeur..e, le mode de collaboration choisi, les délais envisagés, le contexte professionnel, scolaire ou amateur, le lieu et les outils à disposition, ou encore la motivation, les connaissances, l’expérience et la personnalité de chaque personne impliquée. Le degré de collaboration du projet est tout aussi variable. Or, plus un processus créatif est collaboratif, plus les défis sont grands pour les co-créateur..ices, qui doivent alors chercher – et surtout trouver – les points de jonction entre leurs sensibilités artistiques respectives. Comment un tel processus se déroule-t-il? Quelles sont les conditions de son aboutissement? À quel genre de résultat peut-il donner lieu? À première vue, on pourrait penser que si les co-créateur..ices collaborent pleinement et respectueusement tout au long du projet, alors l’objet co-créé sera satisfaisant pour l’ensemble du groupe, qui s’y reconnaîtra; à l’inverse, si les membres ne parviennent pas à s’entendre ou ne s’expriment pas équitablement au cours du processus, alors l’objet co-créé manquera de direction ou d’unité, ou ne représentera pas la « voix » du groupe.

C’est, du moins, l’hypothèse qui m’a menée à élaborer un projet visant à analyser le processus de co-création d’une chanson « de l’intérieur » par une approche de recherche-création1. Plus spécifiquement, je voulais savoir ce qui se produirait si des personnes sans expérience en écriture de chansons se retrouvaient dans le même « espace-temps » pour co-créer à la fois les paroles et la mélodie d’une chanson, accompagnées par une personne plus expérimentée (moi). Comment les idées individuelles seraient-elles tissées les unes aux autres? Quel rapport se développerait-il entre les co-créateur..ices et leur chanson? Serait-il possible pour moi de les guider sans trop influencer leurs idées? Pour explorer ces questions, j’ai choisi de travailler avec des jeunes de 15 à 17 ans2 et d’occuper une position active dans leur groupe, afin de pouvoir non seulement observer le processus créatif de l’intérieur, mais aussi intervenir au besoin pour « faciliter » la co-création, et ainsi aider les jeunes à faire entendre leur voix. Cet article présente une version condensée des résultats de ce projet, qui a préalablement fait l’objet de mon mémoire de maîtrise en musicologie (Arsenault 2022), puis d’un ouvrage (Arsenault 2023).

De l’intérêt d’explorer le processus de co-création autrement

Que ce soit en psychologie, en psychosociologie, en éducation ou en éducation musicale, le processus de co-création est généralement utilisé comme cadre pour étudier la créativité collaborative, ses effets sur le développement ainsi que son potentiel pédagogique. Il reste en revanche très peu étudié en lui-même, comme mode de création particulier. Si plusieurs études se sont intéressées à son déroulement, leur objectif était principalement de mieux comprendre les dynamiques d’interaction entre les membres du groupe : certaines se sont penchées sur la négociation du pouvoir au sein du groupe (McGillen et McMillan 2005; Muhonen 2016), les modes de communication des idées (Bennett 2012; Preston 2013; Sawyer et DeZutter 2009), la construction de l’identité (Moran et John-Steiner 2004; Thorpe 2008) ou encore la qualité des relations (Miell et Littleton 2008; Moran et John-Steiner 2004). Quelques-unes ont aussi proposé une modélisation du processus créatif (Fautley 2005; McGillen et McMillan 2005; Thorpe 2008), tandis que d’autres ont plutôt décrit une alternance entre divers procédés, sans ordre précis (Giglio 2015; Gooderson et Henley 2017; Miell et Littleton 2008; Sawyer et DeZutter 2009). Néanmoins, très peu de recherches ont mis de l’avant le contenu spécifique des idées créatives et de l’objet co-créé (Muhonen 2016; Rojas-Drummond et collab. 2008; Sawyer et DeZutter 2009).

En musique, si les travaux de Joe Bennett (2012; 2013) et de Beth Preston (2013) ont respectivement proposé une schématisation de la trajectoire des idées lors de la co-création d’une chanson, aucun n’a mis l’accent sur les mots prononcés ou sur les idées musicales proposées, et aucun ne s’est penché sur les pratiques créatives d’amateur..ices, qui diffèrent pourtant de celles des professionnel..les (Gooderson et Henley 2017). Bennett (2012) semble d’ailleurs être le seul, hors du contexte éducatif, et tout domaine confondu, à avoir étudié le processus de co-création de l’intérieur3 : dans un article publié en 2012, il décrit une séance de trois heures durant laquelle il a co-créé une chanson avec un autre auteur-compositeur professionnel. Son récit offre ainsi une perspective unique sur, par exemple, ce qui provoque le passage d’une phase créative à une autre, ou sur les manières dont une personne peut choisir de proposer, modifier, refuser ou approuver une idée. Selon Bennett (2012), ce type de données, intimement liées à son expérience vécue, n’auraient pas pu être produites uniquement sur la base d’observations et d’entretiens, même menés pendant la création.

Ainsi, non seulement le processus de co-création avait été très peu étudié de l’intérieur, mais il ne l’avait pas été auprès d’amateur..ices – donc de jeunes – en dehors d’un contexte éducatif4. En outre, le processus de co-création d’une chanson ne semblait pas avoir fait l’objet d’un projet adoptant une approche de recherche-création, dans lequel le résultat de la création – la chanson – serait pris en compte et analysé. C’est donc à ces besoins que mon projet est venu répondre, en proposant d’examiner en quoi l’observation participante active (OPA)5 pourrait permettre de mieux comprendre le processus de co-création d’une chanson avec des jeunes. Quatre objectifs ont guidé son volet recherche : 1) décrire le processus de co-création de la chanson, 2) retracer sa constitution progressive, 3) analyser les interactions entre les co-créateur..ices, et 4) analyser le rôle de la « facilitatrice », soit mon propre rôle au sein du groupe.

En constatant que les chansons co-écrites par des jeunes en dehors d’un contexte éducatif se faisaient rares dans l’espace public6, il m’a aussi semblé intéressant de vérifier en quoi un tel projet pourrait donner lieu à une chanson significative pour des adolescent..es, puisqu’elle incarnerait (potentiellement) leur voix. Ce questionnement est devenu l’objectif du volet création de mon projet. C’est d’ailleurs en raison de cet objectif que j’ai cherché, en tant que facilitatrice, à influencer le moins possible le contenu de la chanson co-créée : consciente de ma position d’autorité auprès des jeunes7, je souhaitais censurer le plus possible mes idées créatives, de manière à leur permettre de s’approprier entièrement le processus de co-création, donc la chanson.

Une démarche herméneutique et réflexive

Pour présenter l’approche théorique et la méthode mobilisées dans ce projet, j’utilise le modèle de De Bruyne, Herman et De Schoutheete (1974) qui permet, selon Charmillot (2021),

de distinguer quatre pôles interdépendants caractéristiques de toute démarche de recherche : 1) le pôle épistémologique, qui exerce une fonction de vigilance critique et garantit la production de l’objet scientifique; 2) le pôle théorique, qui guide l’élaboration des hypothèses ainsi que la construction des concepts […]; 3) le pôle morphologique, qui réfère aux hypothèses ainsi qu’au type d’écriture privilégié; 4) le pôle technique, qui revient à la mise en œuvre pratique d’un dispositif.

Pôle épistémologique

Le fait de chercher à mieux comprendre le processus de co-création d’une chanson m’incite à me situer dans une approche herméneutique, dans « ce cercle [qui] s’élargit sans cesse » (Gadamer 1996, 209), allant « d’une anticipation du tout à l’explication du détail, et vice versa, jusqu’à la compréhension » (Paillé et Mucchielli 2021, 153). En effet, c’est parce que je présuppose qu’il y a un « tout » à comprendre – le processus de co-création – que je me penche sur chacune de ses parties – son déroulement, la chanson qui en résulte, les interactions qui le constituent – et c’est en étudiant chacune de ses parties que je construis, par aller-retour, ma compréhension de ce tout. Également dans une posture constructiviste, je considère mes données comme un texte que je dois tenter d’interpréter8 : je l’interroge et je m’ouvre à ses réponses; ses réponses provoquent en moi de nouvelles questions; je l’interroge à nouveau; et ainsi de suite.

Je tente aussi de rester consciente, et surtout critique, de la manière dont je pose mes questions et dont je trouve mes réponses. J’essaie de repérer mes attentes, mes a priori, et, plutôt que de les effacer, je les utilise pour mieux comprendre mon propre cheminement dans ma recherche. Cet effort de réflexivité a été fortement nourri par les principes de l’épistémologie du lien de Florence Piron (2017; 2019), pour qui une démarche constructiviste devrait toujours s’accompagner d’un sentiment de responsabilité pour autrui, c’est-à-dire d’une reconnaissance des effets potentiels de notre texte scientifique sur le monde qui nous entoure, et notamment sur les sujets mêmes de notre étude9. Cette approche exige donc de faire preuve d’une « méta-réflexivité permanente » (Piron 2017, 53), en se questionnant constamment sur les actions que l’on pose et sur les mots que l’on utilise.

Pôle théorique

Deux repères théoriques ont été importants dans ma démarche. Le premier est le concept de zone proximale de développement (ZPD) de Vygotski (1981), selon lequel une personne fonctionne à un plus haut niveau en collaborant avec une ou des personnes plus expérimentées plutôt qu’en travaillant seule. Selon Veloso (2017) et Muhonen (2016), cette zone représente un espace sécuritaire au sein duquel peut naître la créativité collaborative. Dans la ZPD, il est plus aisé de se révéler à l’autre, de recevoir des critiques, de partager son dialogue intérieur et de reconnaître ses forces comme ses faiblesses (Muhonen 2016). Si cette notion a été importante dans mes analyses, c’est que j’ai souvent appréhendé les interactions entre les membres du groupe à travers le filtre de cet espace sécuritaire.

Mon second repère théorique est la notion de « réflexivité émotionnelle » de Carla Vaucher (2020), selon qui, « au lieu de les considérer comme des résidus de la recherche, les émotions peuvent être appréhendées en tant que sources d’informations, indispensables au processus de connaissances » (Vaucher 2020, 207). Soulignant que « les émotions éprouvées sur le terrain conduisent à opérer des choix qui vont orienter la production des données » (ibid.), elle propose au chercheur ou à la chercheuse de procéder à leurs « reconnaissance, analyse, prise en compte, digestion et restitution » dans son texte scientifique (ibid., 195). J’ai ainsi choisi, pendant mon terrain, de laisser transparaître mes émotions dans mon journal de bord, ce qui m’a effectivement permis, lors des analyses, de mieux comprendre mon rôle au sein du groupe ainsi que l’expérience vécue des jeunes co-créateur..ices.

Pôle morphologique

Une fois publié, un texte scientifique contribue, même à petite échelle, à construire le discours de la science sur la réalité – un discours souvent teinté d’une aura de « vérité » en raison de son statut scientifique. Ainsi, le fait d’expliciter la manière dont on choisit d’écrire notre texte scientifique est, à mon avis, une question d’éthique : si je reconnais, en tant que constructiviste, que le langage est le médium par lequel je produis mes données et je construis mes interprétations, alors j’ai la responsabilité de me questionner sur mon usage des mots, sur mon écriture10.

C’est donc en cohérence avec mon approche épistémologique11 que j’ai choisi de rédiger à la première personne; de rendre visibles les aléas de mon cheminement – les erreurs, les surprises, les remises en question – au lieu d’en présenter seulement les résultats; de mettre en lumière les décisions qui m’ont permis de produire et d’analyser mes données; et de montrer que mes hypothèses ont été construites de manière progressive. De même, j’ai fait le choix d’employer un langage concret et explicite : dans ma démarche, la responsabilité pour autrui s’incarne aussi par le désir d’être comprise par le plus grand nombre, incluant les jeunes ayant participé à mon projet.

Pôle technique

Ma démarche de recherche a permis la production de cinq types de données : j’ai effectué, avant et après le projet de co-création, des entretiens individuels avec les trois jeunes volontaires – Aude et Sofia-Lou, 15 ans, et Gabriel, 17 ans; j’ai fait des captations de chaque rencontre de création; j’ai tenu un journal de bord tout au long du projet; j’ai organisé une autoconfrontation croisée (Faïta et Vieira 2003) à laquelle a participé une observatrice externe; et cette dernière m’a ensuite remis un rapport combinant ses observations issues de l’autoconfrontation croisée, des enregistrements des entretiens et de mon journal de bord.

Pour analyser mes données, j’ai utilisé les trois niveaux du travail d’analyse selon Paillé et Mucchielli (2021) : la transcription, la transposition et la reconstitution. J’ai commencé par transcrire – verbalement et musicalement – les huit séances de création, puis les entrevues individuelles. Ma relecture des verbatims a ensuite donné lieu à deux types de transpositions : un examen phénoménologique des données et une annotation du corpus (ibid.); la première m’a permis de construire le récit du processus de co-création et la seconde, de noter mes observations, réflexions et hypothèses préliminaires. Par la suite, j’ai procédé à une analyse thématique continue des interactions, puis à une analyse « en mode écriture » (ibid.) visant à mieux comprendre mon rôle au sein du groupe. Est arrivée la reconstitution, c’est-à-dire l’écriture : véritable dernière étape analytique, c’est par ce travail de restitution des analyses que je suis parvenue à construire, par aller-retour herméneutique, ma compréhension du processus de co-création.

Mise en récit du processus : les faits saillants

Peu importe son déroulement, le processus créatif est toujours marqué d’une fin imprévisible. Entretemps, plusieurs questions restent en suspens : le projet aboutira-t-il? Respectera-t-on les délais? Quelqu’un abandonnera-t-il en cours de route? Sera-t-on satisfait du résultat? Pour rendre compte de la manière dont le processus de co-création de la chanson s’était bel et bien déployé dans le temps, j’ai entrepris d’en faire un récit détaillé, qui relaterait le déroulement de chaque rencontre. Pour des raisons évidentes, je me contenterai d’en faire ici un bref résumé, pour me concentrer plutôt sur ce que ce récit m’a permis de mettre au jour au sujet du processus de co-création.

Ce sont, au total, huit rencontres d’environ deux heures, étalées sur un été complet, qui ont fini par donner lieu à une chanson originale, laquelle a ensuite été enregistrée en studio. La première rencontre a surtout servi à faire connaissance – chaque jeune avait déjà été mon élève dans des cours de groupe, mais elles et lui ne se connaissaient pas –, puis à discuter du sujet de la chanson; les deux suivantes ont mené à l’écriture des paroles du premier couplet; la quatrième a engendré deux esquisses de mélodie et la cinquième a permis de retravailler l’une des deux; la sixième a laissé place à l’écriture d’un nouveau couplet; la septième a surtout mené à des corrections dans les paroles comme dans la musique; et la huitième a permis l’ajout rapide d’un dernier couplet, achevant ainsi la chanson. Au lendemain de l’enregistrement en studio, j’ai noté dans mon journal de bord : « La chanson a été enregistrée avec succès hier. Les jeunes étaient encore une fois très fiers et très contents. »

Le rôle moteur de la récapitulation

De prime abord, le récit du processus a permis de relever l’alternance constante des phases créatives suivantes :

Cette alternance, déjà soulignée dans de nombreuses recherches12, est à la fois inévitable et indéterminable : chaque phase est susceptible d’en entraîner une autre, sans hiérarchisation, sans ordre précis. Le passage d’une phase à l’autre dépend en effet du contenu même de ces phases, qui se nourrissent entre elles : la création de paroles peut provoquer une discussion sur la musique; la récapitulation peut entraîner une remise en question; et ainsi de suite. Certaines successions de phases sont cependant revenues de façon plus marquée au cours du processus. Par exemple, chaque rencontre a débuté par des échanges hors sujet, puis par une récapitulation de ce qui avait été créé ou décidé lors de la rencontre précédente. Le plus souvent, celle-ci déclenchait spontanément une nouvelle tempête d’idées, ou bien une discussion intense menant à la modification de matériaux. La récapitulation est pourtant très peu mentionnée dans la littérature, qui insiste plutôt sur la révision, la négociation, ou sur des phases dont l’objectif est explicitement de corriger ou d’améliorer des matériaux. Certes, la récapitulation est en théorie passive, mais la mise en récit du processus a montré qu’elle jouait en fait un rôle moteur dans la création de par sa capacité à faire surgir activement de nouvelles idées.

L’importance des échanges hors sujet

Le récit a également permis de révéler l’importance insoupçonnée des échanges hors sujet dans le processus créatif. En plus de générer parfois certaines idées, ces échanges constituent l’occasion de se « dévoiler » les un..es aux autres, entraînant l’instauration graduelle d’un climat de confiance et de complicité. Ces conversations amicales contribuent à l’effet d’espace sécuritaire attribué à la ZPD. Il a toutefois fallu plusieurs rencontres, plusieurs échanges et plusieurs rires pour que les jeunes se sentent à l’aise d’exprimer plus explicitement leur avis. Ce constat me permet de nuancer, d’une part, l’affirmation de Moran et John-Steiner (2004, 15) selon laquelle « collaboration gives people the safe foundation and encouragement to share themselves with others » : si la collaboration est effectuée dans un climat sérieux, décourageant les digressions, alors les membres du groupe n’auront ni l’envie ni la possibilité de s’ouvrir aux autres13. D’autre part, si quelques études ont mentionné l’importance de l’amitié préalable dans la co-création (Augustiniak 2014; Miell et MacDonald 2001; Rojas-Drummond et collab. 2008), il me semble que c’est plutôt le rapport de confiance, de complicité et de respect qu’elle implique qui importe, et qui est précisément favorisé par les échanges hors sujet. Il ne faut donc pas les proscrire, même quand ils semblent ralentir le processus : sans la construction de ces liens de confiance, les membres du groupe auraient eu plus de difficulté à s’exprimer librement, notamment pour soulever un désaccord – et préférer taire son opinion peut, à la longue, engendrer une certaine déception ou un détachement par rapport à l’objet co-créé.

La prise en compte du contexte matériel et temporel

Un autre élément décisif dans le processus de co-création, pourtant très peu souligné dans la littérature14, est le contexte matériel et temporel des rencontres : le fait d’avoir chaud ou de ressentir de la fatigue, de se rencontrer un soir de semaine ou un matin de fin de semaine, de laisser passer quelques jours ou bien plusieurs semaines entre deux rencontres, de travailler dans un petit ou dans un grand local, ou encore d’utiliser des outils technologiques plutôt que du papier, etc. sont tout autant d’éléments qui peuvent modeler le processus créatif. Selon mon récit, ces paramètres ont parfois directement affecté la longueur, la dynamique ou l’ordre des phases de création, en plus d’expliquer certaines difficultés ou ralentissements. Le fait de ne pas prendre en compte de tels éléments contextuels peut donc fortement altérer la manière dont on interprète les dynamiques d’un processus de co-création.

La constitution progressive de la chanson

Au départ de mon projet, j’avais l’intuition que la prise en compte de l’objet co-créé, la chanson, permettrait de mieux comprendre le processus de co-création. Selon sa version finale, la chanson co-créée offre le point de vue successif de trois personnages adolescents aux prises avec des tourments distincts, mais tous liés à l’avenir (voir les paroles et la partition en annexe). Dénuée de titre, il s’agit d’une valse en la mineur, bâtie sur des suites d’accords sans modulation, avec des mélodies assez conjointes. Les couplets sont de forme ABACD – sauf le troisième qui omet la répétition du A – et comprennent un total de 8 motifs mélodiques.

Extrait 1 : La chanson co-créée (aussi disponible à cette adresse: https://youtu.be/3WgHH7WJjWo)


Pour analyser sa constitution progressive, j’ai dû développer ma propre méthode, n’ayant trouvé aucune tentative équivalente dans la littérature. J’ai d’abord cherché à déterminer à quel moment dans le processus et par qui chaque vers et chaque motif mélodique15 avait été prononcé ou chantonné pour la première fois. En examinant les transcriptions des rencontres, j’ai vite constaté que la majorité des vers et des motifs étaient d’abord apparus sous une autre forme, parfois très éloignée de leur version finale. J’ai alors entrepris de repérer non seulement la version finalisée, mais aussi l’idée de base qui avait donné lieu à chaque vers et motif de la chanson, ainsi que chacune de ses modifications successives16. En somme, j’ai reconstitué, au sein de divers tableaux, tous les maillons de toutes les chaînes d’idées ayant donné lieu aux matériaux de la chanson17. Je souhaite surtout insister ici sur l’angle collaboratif de cette analyse.

L’analyse des chaînes de collaboration

Selon ses paramètres, une co-création peut donner lieu à un résultat plus ou moins collaboratif, c’est-à-dire que les frontières entre l’apport respectif de chaque co-créateur..ice y seront plus ou moins visibles. Le résultat d’une co-création peut ainsi ressembler davantage à une soupe minestrone – où chaque légume dans le bouillon est à peu près reconnaissable – ou, au contraire, à un potage si velouté et homogène qu’on n’en distingue plus les différents ingrédients. Pour vérifier si la chanson se rapprochait plus d’une crème que d’une soupe de légumes, j’ai concentré mon analyse sur ce que j’ai appelé les « chaînes de collaboration », qui désignent l’enchaînement des contributions successives permettant de passer d’une idée initiale à une idée finalisée. Par exemple, si l’idée de base d’un vers a été d’abord lancée par Sofia-Lou, que ce vers a été modifié par Gabriel, puis finalisé par Aude, la chaîne de collaboration serait : Sofia-Lou – Gabriel – Aude.

Après avoir minutieusement relevé toutes les chaînes de collaboration ayant donné lieu à chaque vers de la chanson, j’ai été en mesure de calculer le nombre total de contributions par vers de chaque personne, incluant le nombre de vers initiaux (début de la chaîne) et de vers finalisés (fin de la chaîne) que chacune avait proposés. Ces données m’ont ensuite permis de déterminer le « taux de contribution » de chaque personne aux paroles de la chanson, comme illustré dans le tableau 1.

Tableau 1 : Taux de contribution de chaque personne aux vers de la chanson

Tableau 1 : Taux de contribution de chaque personne aux vers
de la chanson

Selon ce tableau, Gabriel et moi avons contribué aux trois quarts des paroles, tandis qu’Aude et Sofia-Lou y ont contribué à environ 60 %. De plus, si près de la moitié des vers ont été initiés par Gabriel (42 %), ils ont été finalisés de manière plutôt équitable (25 % pour moi, 26 % pour Aude, 30 % pour Gabriel et 32 % pour Sofia-Lou). Ainsi, en plus d’avoir influencé directement plus de la moitié des vers de la chanson, chaque membre du groupe a pu voir ses suggestions conservées telles quelles pour au moins un quart des paroles19.

Grâce aux mêmes données, j’ai pu calculer le nombre total de contributions ayant donné lieu à chaque vers. Les résultats, synthétisés dans le tableau 2, illustrent de manière encore plus saisissante le degré de collaboration élevé derrière la création des paroles : sur les 53 vers de la chanson, pas moins de 32 ont été créés grâce aux interventions successives de trois ou quatre personnes; de même, 26 vers comprennent plus de 4 contributions.

Tableau 2 : Statistiques de collaboration dans la création des vers

Tableau 2 : Statistiques de collaboration dans la création
des vers

Pour vérifier si les proportions étaient similaires en musique, j’ai procédé en deux temps : j’ai d’abord dressé une liste détaillée des étapes ayant mené à la finalisation de chaque motif mélodique, en numérotant ses modifications successives (a1, a2, a3) et en précisant quelle version avait finalement été retenue par le groupe (voir l’exemple en annexe). Grâce à cette microanalyse, j’ai pu attribuer à chaque personne les versions des motifs qu’elle avait proposées, reconstituant ainsi les chaînes de collaboration ayant mené à la création de la mélodie de la chanson.

Tableau 3 : Synthèse des contributions individuelles à la création des motifs

Tableau 3 : Synthèse des contributions individuelles à la
création des motifs

Selon le tableau 3, la majorité des motifs ont été composés par au moins deux personnes, et chaque section de la chanson (A, B, C et D) a reçu la contribution de l’ensemble du groupe. Ce tableau révèle aussi un renversement intéressant par rapport aux paroles, puisque ce sont désormais Aude et Sofia-Lou qui ont le plus haut taux de contribution (75%, contre 50% et 42% pour Gabriel et moi). Néanmoins, Gabriel ayant pris place au piano, c’est lui qui a composé – avec mon aide occasionnelle – toutes les suites d’accords de la chanson ainsi que les motifs d’accompagnement. Ainsi, comme pour les paroles, la composition de la musique est issue d’une forte activité collective bien répartie entre les membres du groupe. Autrement dit : potage, deux; minestrone, zéro.

Les autres formes de contribution à la chanson

En se concentrant sur la création des matériaux de la chanson, mon analyse des chaînes de collaboration a toutefois évincé certaines nuances importantes au sujet de sa constitution progressive. Il y a d’abord toutes les formes de contribution indirecte à la chanson, telles que montrer de l’enthousiasme devant les idées des autres, soulever ce qui manque ou ce qui ne fonctionne pas, faire part de connaissances personnelles, combiner des vers ou des motifs existants, et réorganiser l’ordre des sections ou des couplets. Invisibles dans mes tableaux, ces actions ont néanmoins participé à faire de la chanson ce qu’elle est. De même, mon analyse pourrait laisser croire que la constitution des vers ou des motifs est toujours guidée par le sens ou la « beauté » des matériaux. Or, un vers est bien souvent modifié non pas pour l’améliorer, mais pour le faire rimer, pour éviter les redondances ou pour atteindre un nombre idéal de syllabes. Quant au motif mélodique, on peut le modifier afin de mieux respecter la métrique de la chanson, le style musical, ou même les accents toniques dans les paroles. Bref, l’activité collective derrière la création de la chanson ne doit pas se concevoir uniquement en termes de proposition, de modification et de sélection de matériaux; elle prend en réalité toutes sortes de formes, certaines moins directes, d’autres plus pratiques, mais qui contribuent tout autant au processus créatif et à la chanson.

L’analyse des interactions et ses effets inattendus

Il est un résultat de mon analyse des chaînes de collaboration sur lequel je n’ai pas encore insisté : ma propre contribution à la chanson. En effet, j’ai été choquée de constater que j’avais finalement contribué à la chanson de manière aussi importante que Gabriel, Aude et Sofia-Lou. Pourquoi n’avais-je pas réussi à censurer mes idées créatives, alors que j’avais le souvenir d’avoir obstinément essayé20? Comment cet « échec » avait-il influencé la perception qu’avaient les jeunes de mon rôle, et de la chanson? C’est, étonnamment, mon analyse des interactions qui m’a permis de comprendre ce qui s’était passé.

Pendant mon annotation des transcriptions, j’ai remarqué que les idées créatives étaient le plus souvent données dans une forme ouverte à la modification, par des formules telles que « je sais pas, mais... », « peut-être que... », « ça a sûrement pas rapport, mais... », ou en les exprimant avec incertitude ou imprécision. Preston (2013) avait déjà relevé que l’imprécision des idées est souvent volontaire, afin de solliciter implicitement la contribution des autres. J’ai aussi constaté que, pour rejeter une idée, il était plus fréquent de hocher la tête poliment, sans montrer d’enthousiasme, que d’exprimer clairement sa désapprobation. Bennett (2012) avait lui aussi noté que les réactions négatives étaient rares et que les vétos se faisaient généralement de manière implicite. Enfin, j’ai relevé d’intéressantes stratégies visant peut-être à se protéger des réactions négatives du groupe, telles que de transformer son idée en blague ou en question ouverte, ou d’affirmer aussitôt qu’il s’agit d’une mauvaise idée.

C’est pour rendre visible ces phénomènes que j’ai décidé d’analyser les interactions non seulement selon leur fonction (p. ex. proposer une idée), mais aussi selon leur forme (p. ex. poser une question, faire une blague). En m’inspirant des modèles de Bennett (2012) et de Preston (2013), j’ai établi une liste préliminaire de cinq fonctions : 1) proposer une idée, 2) modifier une idée, 3) rejeter une idée, 4) sélectionner une idée, et 5) résoudre un blocage. Trois autres se sont ajoutées au fil de l’analyse thématique continue : 6) orienter le groupe, 7) évaluer la chanson et 8) créer des liens. Au sein d’un grand tableau, dont un extrait est présenté dans le tableau 4 ci-dessous, j’ai associé à ces huit fonctions un total de 55 formes d’interactions, en précisant pour chacune si le mode de communication était explicite/direct ou implicite/indirect.

Tableau 4. Extrait de mon tableau « Synthèse des interactions »

Tableau 4. Extrait de mon tableau « Synthèse des
interactions »

En construisant ce tableau21, je me suis demandée pourquoi j’avais ressenti le besoin de procéder à une analyse aussi détaillée. J’ai fini par comprendre que c’était parce que je me reconnaissais moi-même dans ces interactions – et que j’en étais la première étonnée. J’avais en effet proposé, modifié, rejeté et sélectionné des idées en employant les mêmes stratégies qu’Aude, Gabriel et Sofia-Lou; j’avais moi aussi vécu l’acceptation ou le rejet de certaines de mes idées; j’avais parfois manqué d’inspiration ou perdu mes moyens devant un blocage; j’avais ri, ressenti de la fierté, de la déception; bref, j’avais non seulement agi, mais j’avais aussi vécu ce projet de co-création comme une co-créatrice.

Mon rôle au sein du groupe ne s’était toutefois pas arrêté là, comme l’a illustré l’analyse subséquente de mes interventions, c’est-à-dire de mes interactions visant spécifiquement à faciliter le processus créatif. J’ai cette fois relevé cinq fonctions : 1) motiver, encourager ou soutenir les jeunes, 2) les amener à améliorer leurs matériaux, 3) les (ré)orienter, 4) résoudre un problème et 5) créer un rapport de confiance. J’y ai associé un total de 40 formes possibles, toujours en distinguant les modes de communication employés22.

Tableau 5. Extrait de mon tableau « Synthèse de mes interventions »

Tableau 5. Extrait de mon tableau « Synthèse de mes
interventions »

La construction de ce second tableau23 a attiré mon attention sur un autre phénomène : au fil du processus, les jeunes s’étaient mis à reproduire certaines de mes interventions, que ce soit pour orienter le groupe, pour le motiver ou pour résoudre des problèmes. Cette observation m’a menée vers un second constat important au sujet de mon rôle : l’augmentation de la « performance » des jeunes – comme stipulée dans la théorie de la ZPD – n’avait pas tant été permise par mes interventions de facilitatrice que par le modèle de créatrice que je leur avais offert, dans ma manière de réfléchir, de résoudre des problèmes, de faire certains choix, de trouver de l’inspiration. Autrement dit, le fait d’avoir agi malgré moi comme une co-créatrice avait possiblement été la meilleure manière d’accompagner les jeunes dans la réussite du projet.

Une question, néanmoins, subsistait : pourquoi avais-je eu l’impression de me censurer durant le processus? Pour y répondre, j’ai comparé ma propre perception de mon rôle avec celle des jeunes, que j’avais recueillie lors des entrevues post-création. De mon côté, mon journal de bord indiquait que j’avais bel et bien usé de stratégies24 pour atténuer le rapport d’autorité induit par mon expérience et ainsi limiter mon influence sur la chanson. De leur côté, les jeunes ont affirmé que j’étais surtout intervenue pour les aider, et non pour contribuer à la chanson : à leurs yeux, j’avais été une « guide passive » (Gabriel), une « pancarte de randonnée » (Sofia-Lou), un « aide-mémoire » (Aude), mais pas une co-créatrice; c’était bien « leur » chanson, et non la mienne. Alors, comment expliquer notre perception inexacte de mon influence réelle sur le processus et sur la chanson? C’est une petite phrase de Gabriel (« Au début, t’avait dit que tu voulais pas trop intervenir ») qui m’a fait comprendre qu’elle découlait simplement de la manière dont j’avais décrit mon projet lors de notre première rencontre, et qui était restée ancrée dans nos esprits : « Je veux que ce soit une chanson qui représente ce que vous, vous pensez, pas moi. [...] Je me considère plus ici comme quelqu’un qui peut vous aider si vous avez besoin d’aide, vous débloquer si vous êtes bloqués, vous donnez des petits conseils. »

De toute évidence, ma présomption de départ, selon laquelle j’allais pouvoir étudier le processus de co-création d’une chanson de l’intérieur tout en l’influençant le moins possible, était fort naïve; elle faisait abstraction de la nature même de l’OPA, mais aussi de mon identité de chercheuse-créatrice : il m’était impossible d’occuper une position active dans une création tout en me « séparant » de mon identité de créatrice25. Cependant, je ne regrette pas de m’être présentée aux jeunes comme une facilitatrice et non comme une co-créatrice : ce faisant, je leur ai offert l’espace nécessaire pour prendre pleinement le volant du projet, sans jamais se sentir obligés d’écouter mes conseils ou d’accepter mes idées.

L’apport multiple de l’observation participante active

Mon projet m’avait ainsi fait traverser trois étapes correspondant à trois positions distinctes : 1) la chercheuse, qui détermine les objectifs de son projet; 2) l’OPA, qui est tiraillée entre son identité de créatrice et de chercheuse; et 3) à nouveau la chercheuse, qui porte désormais en elle les souvenirs de l’OPA. Je soutiens que c’est précisément grâce à cette trajectoire que je suis parvenue à mieux comprendre le processus de co-création d’une chanson avec/par des jeunes.

En effet, c’est le fait d’avoir vécu de manière si profonde le processus de co-création de la chanson qui m’a conduite à élaborer les trois formes d’analyses présentées dans cet article. Quand je préparais mon projet, je n’avais pas prévu raconter le processus en tenant compte des échanges hors sujet et du contexte des rencontres; je n’avais pas pensé retracer les « chaînes de collaboration » ayant donné lieu aux matériaux de la chanson; et j’étais loin de m’imaginer décortiquer les interactions de manière aussi détaillée.

Or, j’avais désormais le souvenir de ces journées où la fatigue et la chaleur avaient pesé sur nous; de nos doutes exprimés à demi-mot, des tensions éphémères, de nos élans de fierté; de nos silences, de nos rires, des liens qui s’étaient créés entre nous. C’est ainsi que l’idée du récit s’est imposée à moi : il me semblait important de raconter le déroulement du processus à la manière d’une histoire, avec son contexte, ses contraintes, ses personnages et leurs émotions, ses rebondissements et son dénouement.

C’est en m’observant suggérer des paroles et modifier des motifs mélodiques que j’ai ensuite ressenti le besoin de cerner l’influence réelle que j’avais eue sur la chanson, espérant découvrir que, tout compte fait, j’avais bel et bien fait preuve de retenue. Ici encore, je me souvenais de toutes les fois où l’idée d’une personne m’avait inspiré à moi-même une idée, laquelle ne m’appartenait donc plus entièrement, devenant plutôt le maillon d’une grande chaîne reliant chaque nouvelle idée à celle qui l’avait inspirée. Le concept de « chaînes de collaboration » m’est ainsi apparu, et avec lui la méthode pour les retracer et calculer nos contributions respectives à la chanson.

De même, la distinction entre l’intention d’une personne (p. ex. : refuser une idée) et la manière, parfois implicite, parfois explicite, de lui donner forme (p. ex. : en la répétant sur un ton incertain) m’a semblé fondamentale au regard de ma propre expérience. Devrais-je proposer mon idée directement ou la suggérer parmi plusieurs options? Devrais-je montrer de l’enthousiasme ou simplement hocher la tête? Ce genre de questions m’accaparait constamment, et il me semblait clair que l’utilisation de larges étiquettes (appropriation, négociation, etc.) ne me permettrait pas de rendre compte de toute cette complexité. Mon analyse des interactions est conséquemment bien plus exhaustive que celles trouvées dans la littérature, lesquelles confondent, à mon avis, les formes et les fonctions des interactions, ou alors ne s’intéressent qu’aux unes ou aux autres sans se pencher sur la relation entre les deux.

Entre identification et attachement

Il me faut à présent aborder l’objectif du volet création de mon projet : la chanson co-créée était-elle significative aux yeux des jeunes? Si la réponse est « oui », l’explication n’est pas celle que j’avais envisagée au départ. En effet, en entrevues individuelles, Aude, Gabriel et Sofia-Lou m’ont tous..tes avoué ne pas se reconnaître entièrement dans les paroles ou dans la musique de la chanson – ce qui, je le rappelle, était également mon cas, alors que j’y avais tout autant contribué. D’où provenait ce manque d’identification à la chanson? La sensation d’espace sécuritaire liée à la ZPD n’était-elle pas censée garantir la pleine expression de nos voix?

En fait, bien que nous nous sentions à l’aise de nous exprimer librement, nous avions tout de même fait preuve d’une certaine retenue tout au long du processus, y compris pour proposer ou approuver une idée26. Or, plus qu’une forme de respect, cette retenue correspond selon moi à la manifestation d’un sentiment profond selon lequel la chanson n’appartient à personne, sinon à tout le monde, et qu’elle doit en cela refléter le groupe dans son ensemble et non selon chacune de ses parties. Dans un processus de co-création, c’est le projet qui, avant tout, oriente les décisions créatives du groupe; les idées peuvent alors être retenues et même appréciées par le groupe sans qu’elles coïncident avec les goûts respectifs de ses membres27. Par conséquent, l’objet co-créé correspondra à ce que j’appelle une « zone de rencontre acceptable » entre les goûts personnels de chacun..e; il se situera naturellement en décalage plus ou moins grand par rapport à l’idéal de chaque personne, sans être non plus complètement à l’extérieur de ses goûts propres.

Ainsi, la valeur significative de la chanson ne reposait non pas dans sa capacité à représenter la voix de ses jeunes co-créateur..ices, comme je l’avais espéré, mais simplement dans le projet qui lui avait permis d’exister. En effet, même si les trois jeunes ne s’identifiaient pas au propos ou à l’esthétique de la chanson28, celle-ci incarnait néanmoins une grande fierté : celle d’avoir réussi, au fil de neuf rencontres, à trouver la zone de rencontre acceptable entre leurs goûts respectifs pour co-créer une chanson unique et agréable à écouter. Comme l’exprime bien Sofia-Lou : « C’est comme un peu notre enfant [...], on l’a fait, pis là, on l’aime, pis on n’a pas le choix de l’aimer, c’est nous autres qui l’ont fait. Pis si on l’aimait pas, ben… ça veut dire qu’on n’aurait pas réussi notre projet. »

Conclusion

Pour les personnes qui y participent, un projet adoptant l’approche de recherche-création est une expérience transformatrice sur tous les plans, incluant le plan humain. Avant leur participation, Gabriel, Aude et Sofia-Lou n’avaient encore jamais écrit de chansons; depuis, tous..tes les trois se sont découvert une identité de créateur..ices autonomes. De mon côté, j’ai vécu mon projet comme une révélation – non désirée, mais nécessaire – de mes préconceptions, incarnée par l’écart béant entre ce que j’avais prévu, ce que j’avais perçu et ce qui s’était réellement produit. En faisant preuve de réflexivité, j’ai tenté de comprendre cet écart, de lui donner sens, plutôt que de l’invisibiliser. C’est ainsi que j’ai développé des méthodes d’analyse innovantes, qui me sont propres et qui m’ont permis d’atteindre mes objectifs : la mise en récit détaillée du processus, la reconstitution des chaînes de collaboration à l’origine de chaque vers et motif de la chanson, et l’analyse des interactions selon leurs fonctions, leurs formes et leurs modes de communication. Ce regard réflexif sur mon propre cheminement a ainsi contribué à me permettre de mieux comprendre le processus de co-création d’une chanson avec/par des jeunes.

Ce projet est aussi venu concrétiser une intuition profonde selon laquelle, bien qu’il soit impossible de faire disparaître les effets d’un rapport d’autorité au sein d’une co-création, il est tout de même important d’essayer. Essayer, c’est d’abord conscientiser ce rapport, puis déceler les formes qu’il peut prendre; c’est trouver différentes stratégies pour en atténuer les effets; c’est accepter que nos décisions puissent avoir des effets non voulus; c’est faire preuve d’écoute, de souplesse, d’autocritique et d’empathie; c’est, en fin de compte, faire confiance aux co-créateur..ices, en les laissant déterminer le plus possible leur propre trajectoire.

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  1. La recherche-création est une approche « applied to an individual or multiple-agent project combining research methods and creative practices within a dynamic frame of causal interaction […] and leading to both scholarly and artifactual productions » (Stévance et Lacasse 2018, 123). Dans mon projet, c’est l’interaction constante entre ma démarche de recherche et le déroulement du processus créatif qui justifie l’adoption de cette approche.↩︎

  2. Je souligne que leur âge n’a eu que très peu d’importance dans le déroulement du projet, au contraire de leur statut amateur, sur lequel je reviens plus loin. L’écriture de chansons ayant marqué positivement ma propre adolescence, c’est uniquement par désir d’offrir à des jeunes une occasion d’expérimenter la création collaborative d’une chanson que j’ai choisi de travailler avec ce groupe d’âge.↩︎

  3. En effet, l’étude du processus de co-création est généralement effectuée d’un point de vue extérieur, donc à l’aide de caméras, de micros, de transcriptions, d’entrevues, etc.↩︎

  4. Quelques recherches menées par des enseignantes et enseignants-chercheurs ont en effet privilégié l’observation participante, mais toujours avec une visée pédagogique (Kanellopoulos 1999; Muhonen 2016; Rusinek 2007; Veloso 2017).↩︎

  5. Si l’observation participante « permet de vivre la réalité des sujets observés et de pouvoir comprendre certains mécanismes difficilement décryptables pour quiconque demeure en situation d’extériorité » (Bastien 2007, 128), l’OPA est active en ce que « the researcher moves clearly away from the marginally involved role of the traditional participant observer and assumes a more central position in the setting » (Adler et Adler 1987, 50).↩︎

  6. J’ai effectué à ce sujet un « état de la création » sur les chansons co-créées par des jeunes dans la francophonie, mais j’ai choisi de ne pas le détailler dans cet article. On peut toutefois le retrouver dans l’introduction de mon livre (Arsenault 2023).↩︎

  7. Je souligne que parmi les études sur la co-création en milieu éducatif, seule celle de Sari Muhonen (2016) a souligné la relation de pouvoir entre l’enseignante et ses élèves, insistant sur l’importance de réfléchir de manière critique à son influence sur le processus créatif. Si d’autres études se sont également penchées sur le rôle d’une personne en situation d’autorité au sein d’un groupe de co-création (Ernst 1993; Giglio 2015; Ódena 2014; Sallaberry 1998), peu d’entre elles ont proposé des pistes claires pour déterminer quand, comment ou pourquoi intervenir, en particulier lorsque l’objectif n’est pas de favoriser des apprentissages, mais de faciliter le processus créatif.↩︎

  8. En effet, le constructivisme invite à considérer les données comme des traces « isolées momentanément de leur “terrain” d’origine qu[’on] va essayer de “mettre en perspective” (c’est-à-dire recontextualiser) pour les faire parler » (Paillé et Mucchielli 2021, 92).↩︎

  9. Pour Piron (2017, 54), « penser dans l’épistémologie du lien développe notre sensibilité à l’autre et à sa possible vulnérabilité [...] et nous conduit à refuser l’indifférence dans la création de savoirs, aussi bien envers les personnes dont parle notre savoir qu’envers le monde où il circule ».↩︎

  10. Comme l’écrit Piron (1998, 162), « écrire n’est pas seulement mettre dans une forme rédigée des résultats de recherche, ni non plus nécessairement assujettir le réel à la représentation qu’on en donne. L’écriture scientifique est une pratique sociale avec ses règles, ses codes, ses hiérarchies, ses relations de pouvoir, ses lieux et ses modalités. Et comme pour toute pratique sociale, chaque acteur – ici, auteur – conserve une marge de manœuvre cruciale qui le rend responsable de ce qu’il écrit, des compromis qu’il accepte ou des transgressions qu’il commet par rapport aux normes établies par cette pratique ».↩︎

  11. L’épistémologie du lien invite à valoriser, « au sein du texte scientifique, la présence explicite et assumée de la subjectivité des auteurs, de liens multiformes [et] d’une sensibilité à autrui » (Piron 2017, 46). Selon Piron (2019), l’injonction de neutralité, issue du positivisme, est « un artifice de langage qui dresse les scientifiques à masquer le caractère situé, contextuel, de toute production de connaissance » (Piron 2019, 151) et qui « rend la science amorale puisqu’elle en exclut ou rend illégitime la présence dans ses textes et procédures de ce qui est au cœur de la réflexion éthique : la résonance, la sensibilité à l’autre et à notre monde partagé et bien sûr le souci des conséquences » (ibid., 154).↩︎

  12. Bennett 2012; Fautley 2005; Giglio 2015; McGillen et McMillan 2005; Miell et Littleton 2008; Rojas-Drummond et collab. 2008; Sawyer et DeZutter 2009; et Thorpe 2008.↩︎

  13. Lors de l’autoconfrontation croisée, les jeunes ont confirmé que le climat ponctué de blagues et d’échanges hors sujet les avait « amenés à [se] dégêner et à être plus à l’aise en général » (Aude).↩︎

  14. Fautley (2005, 45) semble être le seul à avoir inclus dans sa modélisation des « overarching constraints » telles que « environment, resources, time-frame, teacher and the students themselves ». Autrement, dans la grande majorité des études, des outils technologiques sont parfois mentionnés, sans plus.↩︎

  15. Je me suis concentrée sur la création de la mélodie puisque les autres composantes musicales de la chanson (suites harmoniques et accompagnement instrumental) ont été déterminées par Gabriel, qui avait pris place au piano.↩︎

  16. Par exemple, l’idée de base « C’est pas ça que vous voulez pour moi, que je sois heureux? » a été modifiée pour devenir « Vous voulez que je sois heureux? », puis « Voulez-vous mon bonheur? ».↩︎

  17. Pour le détail de ces tableaux, voir le chapitre 2 de mon livre (Arsenault 2023).↩︎

  18. Le total des pourcentages dépasse 100 %, car certains vers ont été finalisés par deux personnes simultanément (prononcés en même temps, ou sous-entendus par l’une et prononcés par l’autre).↩︎

  19. Cette répartition m’a d’ailleurs paru assez « miraculeuse » : comment était-on parvenu à un tel équilibre? Il pourrait s’agir d’un phénomène s’apparentant au respect naturel des temps de parole lors de conversations évoqué par Beth Preston (2013, 120-124). Autrement dit, le groupe a peut-être cherché à garantir cet équilibre de manière inconsciente.↩︎

  20. En témoigne d’ailleurs le début de mon journal de bord : « Je me souviens avoir dû me “retenir” de parler peut-être deux ou trois fois maximum lorsque j’avais envie d’aller dans une certaine direction mais que je réalisais que je ne ferais qu’orienter la chanson selon mes goûts personnels […] » (rencontre 1).↩︎

  21. Pour consulter le tableau complet, voir Arsenault (2023, 205-207).↩︎

  22. Je souligne que, selon les contextes de leur émergence, mes interventions n’ont pas toujours accompli leur fonction respective, qu’il faut donc concevoir comme objectif plutôt que comme résultat de l’intervention.↩︎

  23. Pour consulter le tableau complet, voir Arsenault (2023, 208-210).↩︎

  24. Il s’agissait par exemple de leur suggérer une idée volontairement mauvaise ou trouée (afin qu’elles et lui l’améliorent à leur façon), de leur offrir plusieurs options (incluant certaines que je n’aurais pas personnellement favorisées), ou de leur rappeler qu’elles et lui avaient toujours le choix de refuser mes idées.↩︎

  25. Voir à ce sujet l’article « Peut-on simultanément faire de la recherche et de la création? Une analyse comportementale dans un projet collaboratif » de Stévance et Lacasse (2025).↩︎

  26. Après tout, affirmer avec conviction qu’une idée nous plaît peut faire implicitement pression sur le groupe pour que cette idée soit retenue; en revanche, le faire sur un ton détaché permet de montrer au groupe qu’il a la possibilité de s’opposer, de modifier ou d’ignorer la proposition.↩︎

  27. Aude a déclaré à ce sujet : « Je sais pas à quel point on avait les mêmes goûts musicaux, mais on était enlignés vers le même... le même but, le même style. » En résulte une sensation étrange selon laquelle « tout le monde décide », mais, simultanément, « personne ne décide », comme l’explique ici Gabriel : « Mais… c’est weird à dire, mais… On a tous les trois une influence sur la chanson, mais, en même temps, la chanson est à nous trois, fait que [...] c’est pas un [seul] qui va décider la direction qu’elle s’en va, c’est comme les trois… mais c’est aucun des trois. »↩︎

  28. Je souligne que même si les enjeux abordés dans la chanson – la relation avec ses parents, l’environnement, l’avenir, l’anxiété et la pression pour réussir – ne résonnent pas tous chez les trois jeunes de mon projet, ce sont néanmoins les sujets qu’il et elles ont choisi d’aborder. Ainsi, même si la chanson ne représente pas leurs voix propres, elle représente certainement une voix, à laquelle d’autres jeunes pourraient s’identifier.↩︎




Musiques : Recherches interdisciplinaires 2, n°2

Copyright © Sarah-Anne Arsenault 2025
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