Faire exégèse et théologie à l'ombre d'un effondrement. Un avenir 'fragilisé'
Résumé
Derrière la tristement célèbre « crise » écologique, et directement coordonné à celle-ci, se profile une réalité des plus inquiétantes : un possible effondrement civilisationnel. Des études de plus en plus nombreuses avancent que le « succès » de l’humanité comme espèce, c’est-à-dire l’accroissement exponentiel de sa population et le développement d’un style de vie de plus en plus énergivore et sophistiqué, ont conduit à une surexploitation des ressources, au-delà de la limite de charge possible pour la planète. Comme par le lointain passé de la Terre, des extinctions de masse surviennent lorsque les facteurs de viabilité ne sont plus soutenables et que les conditions climatiques entre autres basculent brusquement, sans laisser aux espèces le temps de s’y adapter. La vitesse à laquelle l’être humain a modifié les écosystèmes terrestres fait de notre espèce une force géologique si puissante qu’elle a conduit les géologues à proposer le terme d’ « anthropocène » pour désigner l’époque géologique à laquelle nous vivons. Par ailleurs, les pronostics scientifiques offerts au Club de Rome par les auteur-es du rapport Meadows il y a 48 ans sont en train de se réaliser. Ces scénarios complexes comportent tous un risque d’effondrement lorsque les courbes de croissance dépassent un certain seuil. Le dogme économique incontesté de favoriser la croissance à tout prix est en train de fragiliser non seulement les écosystèmes, mais les bases même de notre civilisation, laissant planer le risque d’un « effondrement » au cours du prochain siècle – et d’aucuns pensent que nous nous y dirigeons inévitablement. Se manifeste un oubli/déni de la fragilité de la nature et de la civilisation que nous avons érigée sur celle-ci. Non seulement nous ne nous sommes pas affranchis de la nature, mais nous faisons le constat de notre radicale dépendance à celle-ci ! En sorte que toutes les fragilités actuelles (écologiques, économiques, politiques, etc.) ne pourront qu’être exacerbées dans le contexte de la raréfaction et de l’inégalité des ressources.
Le spectre d’un effondrement modifie considérablement les priorités sur lesquelles il nous incombe de réfléchir, l’ensemble des questions sociales étant toutes relatives au maintien de conditions de vie adéquates. Quels sujets d’étude vaut-il la peine que nous poursuivions à présent, en vue des défis à venir ? Par ailleurs, il devient aussi impératif de réfléchir, de manière lucide et informée, aux conditions d’exercice de nos disciplines en contexte de raréfaction de ressources découlant d’un effondrement civilisationnel. Que restera-t-il de l’infrastructure académique qui nous supporte ? Que voulons-nous laisser en héritage aux futures générations d’exégètes et théologiennes/théologiens ? Comment cultiver la transmission d’un savoir exégétique et théologique pertinent à l’échelle où il sera vraisemblablement requis : modeste, fragile, dans des réseaux informels et pauvres, au ras du sol ? Peut-on penser une nouvelle « théologie contextuelle » qui ne soit plus locale ou spécifique à une communauté X, mais globale et planétaire, comme si toutes les diverses fragilités pouvaient être ramenées à une seule, celle du système vital qui nous porte. Si la contextualité conditionne radicalement notre manière de faire théologie/exégèse, alors la contextualité radicale d’un possible effondrement et d’un changement de civilisation devrait déterminer toute tâche intellectuelle, en particulier celle des croyants qui s’inscrivent dans un horizon de sens particulier qui serait profondément bouleversé. Dans ce contexte, il faudra repenser des éléments de notre foi qui semblaient jusqu’à maintenant inébranlables.